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Page:Marie Nizet - Le capitaine vampire.djvu/113

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de plat de sabre, sur la propre échine du barbare.

— Donnez-moi au moins une carriole, insista Isacesco.

— N’y a pas de carriole ! Allez-vous-en, qu’on vous dit !

Et le Cosaque referma la porte avec bruit.

Ioan connaissait suffisamment le caractère russe pour ne pas s’étonner de ces procédés inhumains. Il fit un geste de dégoût, enfonça ses éperons dans les flancs de son cheval et la chevauchée fantastique recommença de plus belle à la lumière incertaine de la lune qui se levait large et pâle dans le brouillard. La fraîcheur de la nuit et les bonds réitérés de l’alezan, impétueux émule de Calul Vintesh[1], réussirent, mieux que la selbovitza, à raviver l’étincelle de vie qui animait encore Comanesco. Il reconnut Ioan, sourit, glissa ses doigts sous la ceinture du dorobantz et referma les yeux avec un soupir.

— Pauvre Aurelio ! pensait Ioan en pressant son ami contre sa poitrine, la place qu’il laisse vide n’est pas bien grande dans le cœur des siens ! Qui l’a aimé ? Qui a-t-il aimé ! Moi, moi seul ! Tandis qu’il agonise ici, sa mère et ses sœurs courent de bal en bal, écoutant les flatteries ridicules de ces Russes qui l’ont tué ! Son père ne sait pas même comment on le nomme ! C’est un boyard !… Ah ! pauvre petit boyard ! s’écria-t-il avec un accent de pitié qui laissait percer un peu de dédain.

Son visage se rembrunit soudain, son regard, presque dur, s’arrêta sur les traits féminins de Rélia : — Et, cinquante ans plus tôt, cet enfant eût été mon maître !

Il s’abîma dans ses réflexions, et, tout en se disant qu’un boyard était bien peu de chose et ne pesait guère

  1. Cheval célèbre des légendes roumaines.