Aller au contenu

Page:Marie Nizet - Le capitaine vampire.djvu/13

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
2

homme en secouant sa longue chevelure. Ils piétinent les blés, brisent nos charrues, brûlent nos arbres comme bois mort ! Dieu sait tout ce qu’ils ne feront pas !

— Encore devons-nous les loger ! fit un autre.

— Eh ! Mitica, dit un troisième au premier interlocuteur, ce serait peu de chose, s’ils ne buvaient tant !

— J’ai ma sœur ! répondit simplement Mitica.

Un grand vieillard à barbe blanche, vrai type de Père Éternel, ôta respectueusement son bonnet de peau d’agneau et dit d’une voix grave : « Si Héliade avait vécu, ils n’auraient pas dépassé Ungheni ! »

— Le vieux Mané a raison ! dirent les paysans, mais il n’est pas bon de se souvenir d’Héliade à cette heure !

Et le vieux Mané soupira sans les entendre : « Héliade ! je l’ai connu ! C’était le bon temps ! »

Hélas ! le bon temps est toujours celui qui n’est plus !

— Notre père Bismarck qui êtes à Varzin… s’écria Mitica en nasillant. Bah ! nous aurons tant de choses à demander à notre père Bismarck, qu’il ne nous en accordera pas une seule.

— Tu sembles bien joyeux, Mitica ; hé !… grâce au rakiou[1] ? insinua un paysan.

Mitica rougit : — Ne m’enlevez pas ma gaieté, soupira-t-il en cessant de sourire, elle s’en ira bien toute seule. Dimanche prochain, je dois me trouver à la mairie où, selon le plus ou moins de chance que j’aurai, on m’enrôlera dans l’armée territoriale ou dans l’armée permanente. Ils vont prendre ma chevelure… en attendant qu’ils prennent ma tête ! Là ! c’est pourtant dommage ! ajouta-t-il avec un attendrissement comique en passant la main sur sa crinière mérovingienne.

  1. Sorte d’eau-de-vie de prunes.