Aller au contenu

Page:Marie Nizet - Le capitaine vampire.djvu/49

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
38

en quête d’un mari. Une chevelure brune, des lèvres rouges, un teint d’une éblouissante fraîcheur, si rare dans les villes roumaines, de petits yeux noirs vifs et malicieux lui composaient, malgré l’irrégularité de ses traits, un minois qui ne manquait pas d’originalité. Les uns la trouvaient jolie, les autres disaient qu’elle était laide ; à vrai dire, elle était tout cela à la fois. Elle avait une sorte de babil qui eût pu passer pour de l’esprit si cette grosse fille enjouée n’avait posé pour le sentiment. Pour le reste, elle avait des caprices impossibles à satisfaire et des accès de colère qui lui faisaient déchirer ses mouchoirs et battre ses femmes de chambre.

Domna Epistimia, pâle, mince, élancée, ressuscitait la beauté correcte et froide de sa mère. C’était une vraie princesse. Rien de spontané en elle. Elle avait appris à danser, à saluer et à repousser d’un coup d’éventail la traîne de sa robe. Sa voix, qu’elle savait rendre douce, attirait ; son regard, dur et perçant, repoussait : elle était faite de contrastes, et, sous sa peau de satin et ses jupes de velours, elle cachait une âme sèche, un esprit acariâtre et calculateur ; elle n’était point sotte, toutefois, et savait mener une intrigue.

Vers minuit, Epistimia avait réussi à s’emparer du colonel Liatoukine et le promenait majestueusement à travers la foule compacte des invités. La Roumaine ne parlait pas, le Russe ne soufflait mot ; ils passaient comme des ombres et la galerie disait qu’ils avaient beaucoup de distinction. La distinction du colonel sentait un peu le cimetière. Son visage blafard prenait, aux reflets des lustres, des teintes verdâtres ; ses yeux, enfoncés dans leurs orbites, brillaient comme ceux de la chouette et les galons d’argent de son uniforme, placés transversa-