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Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/112

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dicule, et qui, malgré tout le tourment qu’elle me causait, ne me laissait pas seulement la consolation de me trouver à plaindre.

En vérité, madame, avec une tête de quinze ou seize ans, avais-je tort de succomber, de perdre tout courage, et d’être abattue jusqu’aux larmes ?

Je pleurais donc, et il n’y avait peut-être pas de meilleur expédient pour me tirer d’affaire, que de pleurer et de laisser tout là. Notre âme sait bien ce qu’elle fait, ou du moins son instinct le sait bien pour elle.

Vous croyez que mon découragement est malentendu, qu’il ne peut tourner qu’à ma confusion ; et c’est le contraire : il va remédier à tout ; car premièrement, il me soulagea, il me mit à mon aise, il affaiblit ma vanité, il me défit de cet orgueilleux effroi que j’avais d’être connue de Valville. Voilà déjà bien du repos pour moi : voici d’autres avantages.

C’est que cet abattement et ces pleurs me donnèrent, aux yeux de ce jeune homme, je ne sais quel air de dignité romanesque qui lui en imposa, qui corrigea d’avance la médiocrité de mon état, qui disposa Valville à l’apprendre sans être scandalisé ; car vous sentez bien que tout ceci ne saurait demeurer sans quelque petit éclaircissement. Mais n’en soyez point en peine, et laissez faire aux pleurs que je répands ; ils viennent d’ennoblir Marianne dans l’imagination de son amant ; ils font foi d’une fierté de cœur qui empêchera bien qu’il ne la dédaigne.

Et dans le fond, observons une chose. Être jeune et belle, ignorer sa naissance, et ne l’ignorer que par un coup de malheur, rougir et soupirer en illustre infortunée de l’humiliation où cela vous laisse ; si j’avais affaire à l’amour, lui qui est tendre et galant, qui se plaît à honorer ce qu’il aime : voilà, pour lui paraître charmante et respectable, dans quelle situation et avec quel amas de circonstances je voudrais m’offrir à lui !

Il y a de certaines infortunes qui embellissent la beauté même, qui lui préparent de la majesté. Vous avez alors,