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Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/219

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menacez d’être malheureux, et vous voulez qu’elle se console ; vous demandez de quoi nous avons à nous plaindre ! Eh ! qu’exigez-vous de plus que ce que je vous ai dit ? Quand on est généreux, quand on est raisonnable, n’y a-t-il pas des choses auxquelles il faut se rendre ? Eh bien vous ne m’épouserez pas ; mais c’est Dieu qui ne l’a pas permis : mais je n’épouserai personne, et vous me serez toujours cher, monsieur. Vous ne me perdez point, je ne vous perds point non plus : je serai religieuse ; mais ce sera à Paris, et nous nous verrons quelquefois : nous aurons tous deux la même mère ; vous serez mon frère, mon bienfaiteur, le seul ami que j’aurai sur la terre, le seul homme que j’y aurai estimé, et que je n’oublierai jamais.

Ah ! ma mère, s’écria encore Valville en tombant subitement aux genoux de madame de Miran, je vous demande pardon des pleurs que je vous vois répandre et dont je suis cause. Faites de moi ce qu’il vous plaira, vous êtes la maîtresse : mais vous m’avez perdu, vous avez mis le comble à mon admiration pour elle en m’attirant ici : je ne sais plus où je suis ; ayez pitié de l’état où je me trouve ; tout ceci me déchire le cœur ; emmenez-moi, sortons. J’aime mieux mourir que de vous affliger : mais vous qui avez tant de tendresse pour moi, que voulez-vous que je devienne ?

Hélas ! mon fils, que veux-tu que je te réponde ? lui dit cette dame. Il faudra voir ; je te plains, je t’excuse, vous me touchez tous deux, et je t’avoue que j’aime autant Marianne que tu l’aimes toi-même. Lève-toi, mon fils ; ceci n’a pas réussi comme je le croyais, ce n’est pas sa faute ; je lui pardonne l’amour que tu as pour elle : et si tout le monde pensait comme moi, je ne serais guère embarrassée, mon fils.

À ces derniers mots, dont Valville comprit tout le sens favorable, il se rejeta à ses genoux, lui prit une main qu’il baisa mille fois sans parler. Eh bien ! madame, lui dis-je, m’aimerez-vous encore ? y a-t-il d’autre remède que de m’abandonner ?

Le Ciel m’en préserve, ma chère enfant, me répondit-elle ;