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Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/256

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Elle, de son côté, me serra la mienne. Ah ! la bonne petite hypocrite ! me dit-elle ; vous abusez tous deux du respect que vous me devez ; allons, paix ! parlons d’autre chose. Avez-vous passé chez mon frère, mon fils ? comment se porte-t-il ce matin ? Un peu mieux, mais toujours assoupi comme hier, répondit Valville. Cet assoupissement m’inquiète, dit madame de Miran ; nous ne serons pas aujourd’hui si longtemps chez madame Dorsin que l’autre jour ; je veux voir mon frère de bonne heure.

Et nous en étions là quand le cocher arrêta chez cette dame. Il y avait bonne compagnie : j’y trouvai les mêmes personnes que j’y avais déjà vues, avec deux autres, qui ne me parurent point de trop pour moi, et qui, à la façon obligeante et pourtant curieuse dont elles me regardèrent, s’attendaient à me voir, ce me semble ; il fallait qu’on se fût entretenu de moi, et à mon avantage ; ce sont de ces choses qui se sentent.

Nous dînâmes ; on me fit parler plus que je n’avais fait au premier dîner. Madame Dorsin, suivant sa coutume, m’accabla de caresses. Dispensez-moi du détail de ce qu’on y dit ; avançons.

Il n’y avait qu’une heure que nous étions sortis de table, quand on vint dire à madame de Miran qu’un domestique de chez elle demandait à lui parler.

Et c’était pour lui dire que M. de Climal était en danger, qu’on tâchait de le faire revenir d’une apoplexie où il était tombé depuis deux heures.

Elle rentra où nous étions, tout effrayée, et, la larme à l’œil, nous apprit cette fâcheuse nouvelle, prit congé de la compagnie, me laissa à mon couvent, et courut chez le malade avec Valville, qui me parut touché de l’état de son oncle, et touché aussi, je pense, du contre-temps qui nous arrachait si brusquement au plaisir d’être ensemble. J’en fus encore moins contente que lui ; je voulus bien qu’il s’en aperçût dans mes regards, et j’allai tristement me renfermer dans ma chambre, où il me vint des motifs de réflexion qui me chagrinèrent.