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Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/469

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et que je croyais moi-même d’une sagesse de mœurs irréprochable. Aussi, en apprenant que c’était lui, je ne pus m’empêcher de faire un cri.

Je sais, ajouta-t-elle, que vous le voyez très souvent ; nous sommes alliés, et il m’a trompé dans ses visites ; peut-être s’est-il trompé lui-même. Il m’a, dit-il, aimée sans qu’il l’ait su, et je crois que ma faiblesse vient d’avoir su qu’il m’aimait ; depuis ce temps-là il me persécute, et je l’ai souffert ; mais montrez-lui sa lettre, dites-lui que je ne l’ai point lue ; dites-lui que je ne veux plus le voir, qu’il me laisse en repos par pitié pour moi, par pitié pour lui ; faites-lui peur de Dieu même, qui me défend encore contre lui, qui ne me défendrait pas longtemps, et sur qui il aurait le malheur de l’emporter, s’il continue de me poursuivre ; dites-lui qu’il doit trembler de l’état où je suis ; je ne réponds de rien, si je le revois ; je suis capable de le suivre, je suis capable d’abréger ma vie, je suis capable de tout ; je ne prévois que des horreurs, je n’imagine que des abîmes, et il est sûr que nous péririons tous deux.

Elle fondait en larmes en me tenant ce discours ; elle avait les yeux égarés ; son visage était à peine reconnaissable, il m’épouvanta. Nous gardâmes toutes deux un assez long silence ; je le rompis enfin, je pleurai avec elle.

Tranquillisez-vous, lui dis-je, vous êtes née avec une âme douce et vertueuse ; ne craignez rien, Dieu ne vous abandonnera pas ; vous lui appartenez, et il ne veut que vous instruire. Vous comparerez bientôt le bonheur qu’il y a d’être à lui au misérable plaisir que vous trouvez à aimer un homme faible, corrompu, tôt ou tard ingrat, pour le moins infidèle, et qui ne peut occuper votre cœur qu’en l’égarant, qui ne vous donne le sien que pour vous perdre ; vous le savez bien, vous me le dites vous-même, c’est d’après vous que je parle ; et tout ceci n’est qu’un trouble passager qui va se dissiper, qu’il fallait que vous connussiez pour être ensuite plus forte, plus éclairée et plus contente de votre état.