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Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/526

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Le père de monsieur, dis-je à madame Dursan la mère, est actuellement dans l’appartement d’en bas, où je l’ai fait mettre au lit ; il venait vous remercier, avec son fils, des offres de service que vous lui avez fait faire ; et la fatigue du chemin, jointe à une maladie très sérieuse qu’il a depuis quelques mois, a tellement épuisé ses forces, que nous avons cru tous qu’il expirerait dans votre cour. Dans le jardin où je me promenais, on est venu m’informer de son état : j’ai couru à lui, et n’ai eu que le temps de faire ouvrir cet appartement, où je l’ai laissé avec Brunon, qui le garde au moment où je vous parle, ma tante ; je le trouve si affaibli que je ne pense pas qu’il passe la nuit.

Ah ! mon Dieu, monsieur, s’écria sur-le-champ madame Dorfrainville à Dursan le fils, quoi ! votre père est-il si mal que cela ? Elle jugea bien qu’il fallait imiter ma discrétion, et se taire sur le nom du malade, puisque je le cachais moi-même.

Ah ! madame, ajouta-t-elle, que j’en suis fâchée ! Vous le connaissez donc ? lui dit ma tante. Oui, vraiment, je le connais, lui et toute sa famille ; il est allié par sa mère aux meilleures maisons de ce pays-ci ; il me vint voir il y a quelques jours ; sa femme et son fils étaient avec lui ; je vous dirai qui ils sont ; je leur offris ma maison, et je travaille même à terminer la malheureuse affaire qui l’a amené ici. Il est vrai, monsieur, que votre père me fit peur avec le visage qu’il avait. Il est hydropique, madame, il est dans l’affliction, et je vous demande toutes vos bontés pour lui ; elles ne sauraient être ni mieux placées ni plus légitimes. Permettez que je vous quitte, il faut que je le voie.

Oui, madame, répondit ma tante ; allons-y ensemble ; descendons, ma nièce me donnera le bras.

Je ne jugeai pas à propos qu’elle le vît alors ; je fis réflexion qu’en retardant un peu, le hasard pourrait nous amener des circonstances encore plus attendrissantes et moins équivoques pour le succès. En un mot, il me sembla que ce serait aller trop vite, et qu’avec une femme aussi ferme dans ses résolutions et d’aussi bon sens que ma tante, tant de