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Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/553

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ma mère, que cet accident intéresse peut-être de plus d’une façon ; mais ce qui m’occupe à présent, c’est le chagrin de ne la point voir, et de n’être pas sûre que je la trouverai chez son fils, puisqu’on vient de nous dire qu’on ne croit pas qu’elle y loge. Ce n’est pas là un grand inconvénient, me dit-elle ; si elle n’y loge pas nous irons chez elle.

Madame Darcire fit arrêter chez quelques marchands pour des emplettes ; nous rentrâmes ensuite au logis ; trois quarts d’heure après le dîner, nous remontâmes en carrosse avec son homme d’affaires qui venait d’arriver, et nous prîmes le chemin de la Place-Royale, où cette dame, par égard pour mon impatience, voulut me mener d’abord, dans l’intention de m’y laisser si nous y trouvions ma mère, d’aller de là à ses propres affaires, et de revenir me reprendre sur le soir s’il le fallait.

Mais ce n’était pas la peine de nous arranger là-dessus, et mes inquiétudes ne devaient pas finir sitôt. Ni mon frère ni ma belle-sœur, c’est-à-dire ni M. le marquis ni sa femme n’étaient chez eux. Nous sûmes de leur suisse que depuis huit jours ils étaient partis pour une campagne à quinze ou vingt lieues de Paris. Quant à sa mère, elle ne logeait point avec eux, et on ignorait sa demeure ; tout ce qu’on pouvait m’en dire, c’est que ce jour-là même elle était venue à onze heures du matin pour voir son fils dont elle ne savait pas l’absence ; qu’elle avait paru fort surprise et fort affligée de le trouver parti ; qu’elle arrivait elle-même de la campagne, à ce qu’elle avait dit, et qu’elle s’était retirée sans laisser son adresse.

À ce récit, je retombai dans ces frayeurs dont je vous ai parlé, et je ne pus m’empêcher de soupirer. Vous dites donc qu’elle était affligée du départ de M. le marquis ? répondis-je à cet homme. Oui, mademoiselle, me repartit-il ; c’est ce qui m’en a semblé. Eh ! comment est-elle venue ici ? ajoutai-je par je ne sais quel esprit de méfiance sur sa situation, et comme cherchant à tirer des conjectures sur ce qu’on allait me répondre ; était-elle dans son équipage ou dans celui d’un de ses amis ?