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Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/95

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leur colère. Oh ! vous m’avouerez que ce n’était pas là l’article de ma gloire le moins intéressant.

Vous me direz que, dans leur dépit, il était difficile qu’elles me trouvassent aussi jolie que je l’étais : soit ; mais je suis persuadée que le fond du cœur fut pour moi, sans compter que le dépit même donne de bons yeux.

Fiez-vous aux personnes jalouses du soin de vous connaître, vous ne perdrez rien avec elles ; la nécessité de bien voir est attachée à leur misérable passion, et elles vous trouvent toutes les qualités que vous avez, en vous cherchant les défauts que vous n’avez pas : voilà ce qu’elles essuient.

Mes rivales ne me regardèrent pas longtemps : leur examen fut court ; il n’était pas amusant pour elles : et l’on finit vite avec ce qui humilie.

À l’égard des hommes, ils me demeurèrent constamment attachés, et j’en eus une reconnaissance qui ne resta pas oisive.

De temps en temps, pour les tenir en haleine, je les réglais d’une petite découverte sur mes charmes ; je leur en apprenais quelque chose de nouveau, sans me mettre pourtant en grande dépense. Par exemple, il y avait dans cette église des tableaux qui étaient à une certaine hauteur : eh bien, j’y portais ma vue, sous prétexte de les regarder, parce que cette industrie-là me faisait le plus bel œil du monde.

Ensuite c’était ma coiffe à qui j’avais recours : elle allait à merveille ; mais je voulais bien qu’elle allât mal, en faveur d’une main nue qui se montrait en y retouchant, et qui amenait nécessairement avec elle un bras rond qu’on voyait pour le moins, à demi, dans l’attitude où je le tenais alors.

Les petites choses que je vous dis là, au reste, ne sont petites que dans le récit ; car à les rapporter ce n’est rien : mais demandez-en la valeur aux hommes. Ce qu’il y a de vrai, c’est que souvent dans de pareilles occasions, avec la plus jolie physionomie du monde, vous n’êtes encore qu’ai-