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Page:Marivaux - Théâtre, vol. I.djvu/131

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Colombine.

Voilà un sujet de querelle furieusement tiré par les cheveux ; cela est bien subtil.

La Comtesse.

En vérité, je vous admire dans vos récits ! M. Lélio vous aime, madame ; j’en suis certaine : votre billet l’a piqué : il l’a reçu en colère, il l’a lu de même : il a pâli, il a rougi. Dites-moi, sur un pareil rapport, qui est-ce qui ne croira pas qu’un homme est amoureux ? Cependant il n’en est rien ; il ne plaît plus à mademoiselle que cela soit ; elle s’est trompée ! Moi, je compte là-dessus, je prends des mesures pour me retirer ; mesures perdues.

Colombine.

Quelles si grandes mesures avez-vous donc prises, madame ? Si vos ballots sont faits, ce n’est encore qu’en idée, et cela ne dérange rien. Au bout du compte, tant mieux s’il ne vous aime point.

La Comtesse.

Oh ! vous croyez que cela va comme votre tête, avec votre tant mieux ? Il serait à souhaiter qu’il m’aimât, pour justifier le reproche que je lui en ai fait. Je suis désolée d’avoir accusé un homme d’un amour qu’il n’a pas. Mais si vous vous êtes trompée, pourquoi Lélio m’a-t-il fait presque entendre qu’il m’aimait ? Parlez donc ; me prenez-vous pour une bête ?

Colombine.

Le ciel m’en préserve !

La Comtesse.

Que signifie le discours qu’il m’a tenu en me quittant ? Madame, vous ne m’aimez point ; j’en suis convaincu, et je vous avouerai que cette conviction m’est absolument nécessaire. N’est-ce pas tout comme