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Page:Marivaux - Théâtre, vol. I.djvu/191

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m’entendent pas ; ils ne savent ce que c’est que tout cela ; c’est tout comme si je leur parlais grec. Ils me rient au nez, me disent que je fais l’enfant, qu’une grande fille doit avoir de la raison ; eh ! cela n’est-il pas joli ? Ne valoir rien, tromper son prochain, lui manquer de parole, être fourbe et menteur, voilà le devoir des grandes personnes de ce maudit endroit-ci. Qu’est-ce que c’est que ces gens-là ? D’où sortent-ils ? De quelle pâte sont-ils ?

Flaminia.

De la pâte des autres hommes, ma chère Silvia. Que cela ne vous étonne pas ; ils s’imaginent que le mariage du prince ferait votre bonheur.

Silvia.

Mais ne suis-je pas obligée d’être fidèle ? N’est-ce pas mon devoir d’honnête fille ? et quand on ne fait pas son devoir, est-on heureuse ? Par-dessus le marché, cette fidélité n’est-elle pas mon charme ? Et on a le courage de me dire : « Là, fais un mauvais tour, qui ne te rapportera que du mal ; perds ton plaisir et ta bonne foi » ; et parce que je ne veux pas, moi, on me trouve dégoûtée !

Flaminia.

Que voulez-vous ? ces gens-là pensent à leur façon, et souhaiteraient que le prince fût content.

Silvia.

Mais ce prince, que ne prend-il une fille qui se rende à lui de bonne volonté ? Quelle fantaisie d’en vouloir une qui ne veut pas de lui ! Quel goût trouve-t-il à cela ? Car c’est un abus que tout ce qu’il fait ; tous ces concerts, ces comédies, ces grands repas qui ressemblent à des noces, ces bijoux qu’il m’envoie, tout cela lui coûte