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Page:Marivaux - Théâtre, vol. I.djvu/275

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visite, sans doute, importune ; surtout dans la situation où je sais que vous êtes.

La Marquise.

Ah ! votre visite ne m’est point importune, je la reçois avec plaisir ; puis-je vous rendre quelque service ? De quoi s’agit-il ? Vous me paraissez bien triste.

Le Chevalier.

Vous voyez, madame, un homme au désespoir, et qui va se confiner dans le fond de sa province, pour y finir une vie qui lui est à charge.

La Marquise.

Que me dites-vous là ! Vous m’inquiétez ; que vous est-il donc arrivé ?

Le Chevalier.

Le plus grand de tous les malheurs, le plus sensible, le plus irréparable : j’ai perdu Angélique, et je la perds pour jamais.

La Marquise.

Comment donc ! Est-ce qu’elle est morte ?

Le Chevalier.

C’est la même chose pour moi. Vous savez où elle s’était retirée depuis huit mois pour se soustraire au mariage où son père voulait la contraindre ; nous espérions tous deux que sa retraite fléchirait le père ; il a continué de la persécuter ; et lasse, apparemment, de ses persécutions, accoutumée à notre absence, désespérant, sans doute, de me voir jamais à elle, elle a cédé, renoncé au monde, et s’est liée par des nœuds qu’elle ne peut plus rompre : il y a deux mois que la chose est faite. Je la vis la veille, je lui parlai, je me désespérai, et ma désolation, mes prières, mon amour, tout m’a