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Page:Marivaux - Théâtre, vol. I.djvu/289

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et je soutiens que la vue en peut rendre malade, et qu’il y a conscience à la promener par le monde. Ce n’est pas là tout : quand vous parlez aux gens, c’est du ton d’un homme qui va rendre les derniers soupirs ; ce sont des paroles qui traînent, qui vous engourdissent, qui ont un poison froid qui glace l’âme, et dont je sens que la mienne est gelée ; je n’en peux plus, et cela doit vous faire compassion. Je ne vous blâme pas ; vous avez perdu votre maîtresse, vous vous êtes voué aux langueurs, vous avez fait vœu d’en mourir ; c’est fort bien fait, cela édifiera le monde, on parlera de vous dans l’histoire ; vous serez excellent à être cité, mais vous ne valez rien à être vu ; ayez donc la bonté de nous édifier de plus loin.

Le Chevalier.

Lisette, je pardonne au zèle que vous avez pour votre maîtresse ; mais votre discours ne me plaît point.

Lubin.

Il est incivil.

Le Chevalier.

Mon voyage est rompu ; on ne change pas à tout moment de résolution, et je ne partirai point ; à l’égard de monsieur le comte, je parlerai en sa faveur à votre maîtresse ; et s’il est vrai, comme je le préjuge, qu’elle ait du penchant pour lui, ne vous inquiétez de rien, mes visites ne seront pas fréquentes, et ma tristesse ne gâtera rien ici.

Lisette.

N’avez-vous que cela à me dire, monsieur ?

Le Chevalier.

Que pourrais-je vous dire davantage ?