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Page:Marivaux - Théâtre, vol. I.djvu/497

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guais, vous dis-je, et je le distingue encore ; mais rien ne m’engage avec lui ; et comme il te parle quelquefois, et que tu crois qu’il m’aime, je venais te dire qu’il faut que tu le disposes adroitement à se tranquilliser sur mon chapitre.

Lisette.

Et le tout en faveur de monsieur le chevalier Damis, qui n’a vaillant qu’un accent gascon dont vous vous amusez ? Que vous avez le cœur inconstant ! Avec autant de raison que vous en avez, comment pouvez-vous être infidèle ? car on dira que vous l’êtes.

La Comtesse.

Eh bien ! infidèle soit, puisque tu veux que je le sois. Crois-tu me faire peur avec ce grand mot ? Infidèle ! ne dirait-on pas que ce soit une grande injure ? Il y a comme cela des mots dont on épouvante les esprits faibles, qu’on a mis en crédit, faute de réflexion, et qui ne sont pourtant rien.

Lisette.

Ah ! madame, que dites-vous là ? Comme vous êtes aguerrie là-dessus ! Je ne vous croyais pas si désespérée. Un cœur qui trahit sa foi, qui manque à sa parole !

La Comtesse.

Eh bien ! ce cœur qui manque à sa parole, quand il en donne mille, il fait sa charge ; quand il en trahit mille, il la fait encore ; il va comme ses mouvements le mènent, et ne saurait aller autrement. Qu’est-ce que c’est que l’étalage que tu me fais là ? Bien loin que l’infidélité soit un crime, je soutiens, moi, qu’il ne faut pas un moment hésiter d’en faire une, quand on en est tenté, à moins que de vouloir tromper les gens ; ce qu’il faut éviter, à quelque prix que ce soit.