Page:Marivaux - Théâtre, vol. I.djvu/538

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La Comtesse.

La paix dans le cœur d’un homme qui m’aimait de la passion la plus vive qui fût jamais !

Le Chevalier.

Ôtez la mienne.

La Comtesse.

À la bonne heure. Je lui crois pourtant l’âme plus tendre qu’à vous, soit dit en passant. Ce n’est pas votre faute ; chacun aime autant qu’il peut, et personne n’aime autant que lui. Voilà pourquoi je le plains. Mais sur quoi Frontin décide-t-il qu’il est tranquille ? Voyons ; n’est-il pas vrai que tu es aux gages de la marquise, et peut-être à ceux de Dorante, pour nous observer tous deux ? Paie-t-on des espions pour être instruit de choses dont on ne se soucie point ?

Frontin.

Oui ; mais je suis mal payé de la marquise ; elle est en arrière.

La Comtesse.

Et parce qu’elle n’est pas libérale, elle est indifférente ! Quel raisonnement !

Frontin.

Et Dorante m’a révoqué ; il me doit mes appointements.

La Comtesse.

Laisse là tes appointements. Qu’as-tu vu ? Que sais-tu ?

Le Chevalier, bas à Frontin.

Mitigé ton récit.

Frontin.

Eh bien ! Frontin, m’ont-ils dit tantôt en parlant de vous deux, s’aiment-ils un peu ? Oh ! beaucoup, monsieur ; extrêmement, madame, extrêmement, ai-je dit en tranchant.