Aller au contenu

Page:Marivaux - Théâtre, vol. I.djvu/84

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La Comtesse.

Moi, monsieur ! Je n’ai point à me plaindre des hommes ; je ne les hais point non plus. Hélas ! la pauvre espèce ! elle est, pour qui l’examine, encore plus comique que haïssable.

Colombine.

Oui-da ; je crois que nous trouverons plus de ressource à nous en divertir qu’à nous fâcher contre elle.

Lélio.

Mais, qu’a-t-elle donc de si comique ?

La Comtesse.

Ce qu’elle a de comique ? Mais y songez-vous, monsieur ? Vous êtes bien curieux d’être humilié dans vos confrères. Si je parlais, vous seriez tout étonné de vous trouver de cent piques au-dessous de nous. Vous demandez ce que votre espèce a de comique, qui, pour se mettre à son aise, a eu besoin de se réserver un privilège d’indiscrétion, d’impertinence et de fatuité ; qui suffoquerait si elle n’était babillarde, si sa misérable vanité n’avait pas ses coudées franches, s’il ne lui était pas permis de déshonorer un sexe qu’elle ose mépriser pour les mêmes choses dont l’indigne qu’elle est fait sa gloire. Oh ! l’admirable engeance qui a trouvé la raison et la vertu des fardeaux trop pesants pour elle, et qui nous a chargées du soin de les porter ! Ne voilà-t-il pas de beaux titres de supériorité sur nous, et de pareilles gens ne sont-ils pas risibles ? Fiez-vous à moi, monsieur ; vous ne connaissez pas votre misère, j’oserai vous le dire. Vous voilà bien irrité contre les femmes ; je suis peut-être, moi, la moins aimable de toutes. Tout hérissé de rancune que vous croyez