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Page:Marmette - Le chevalier de Mornac, 1873.djvu/13

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couverts d’un bas-de-chausses aussi en peau de daim, dont la couture disparaissait sous une frange aux longues découpures s’agitant à chaque pas. Retenue sur la poitrine par une courroie, une robe de peau de castor, de vison, de loutre ou de martre, leur tombait des épaules jusqu’au jarret. Du haut en bas de cette sorte de manteau d’un très grand prix, étaient teintes de longues raies, également distantes et larges d’environ deux pouces ; on aurait dit des passementeries. Au bas de la robe les queues de vison, de martre ou de loutre pendaient en franges soyeuses, tandis que la tête de ces animaux était fixée en haut pour servir d’une espèce de rebord.

Ces hommes, le chef en tête, marchaient gravement et sans daigner regarder la foule de curieux qui les suivaient.

— Cap de diou ! se dit Mornac avec des yeux tout grands de surprise, voici bien de curieux personnages !

Et se penchant hors de la fenêtre, il apostropha Boisdon, qui parlait avec emphase au milieu de quelques-uns de ses nouveaux hôtes que l’étrangeté du spectacle avait attirés à la porte de l’auberge.

— Père Boisdon !

— Monsieur le comte ? fit le digne homme, qui leva vers la fenêtre sa figure empourprée par la bonne chère et le vin.

— Quels sont donc ces drôles ?

— C’est une députation d’Iroquois que M. le Gouverneur doit recevoir ce matin.

— Oh ! oh ! sandiou ! ce sont là ces croque-mitaines qui font tant de peur aux grands enfants de la Nouvelle-France !

Puis, à demi-voix :

— Mais à propos du Gouverneur, n’est-il pas temps de lui demander audience afin, d’abord, de lui remettre des dépêches de la cour, et ensuite de le prier de s’intéresser en ma faveur ?

— Monsieur Boisdon ! cria-t-il de nouveau.

— Qu’y a-t-il à votre service, monsieur le comte ?

— Pouvez-vous me faire conduire au château Saint-Louis ?

— Certainement. Jean, holà ! Tu vas guider M. le comte au château.

Le gamin, qui espérait entrer à la suite du gentilhomme et assister ainsi à la réception des Iroquois, accepta avec enthousiasme.

Mornac sortit les dépêches de sa valise, les mit dans la poche de son pourpoint, reprit son épée qu’il avait quittée pour se mettre à table, descendit dans la rue et suivit Boisdon fils. Celui-ci, fier d’escorter un gentilhomme et de se rendre au château, jetait des regards vainqueurs sur les connaissances de son âge qui flânaient dans la rue et contemplaient avec envie leur heureux ami Jean Boisdon.


CHAPITRE II.

harangues et pirouettes.

La résidence des gouverneurs français, appelée Château-du-Fort ou Saint-Louis, s’élevait sur les fondations mêmes qui soutiennent encore aujourd’hui la terrasse Durham. Commencé par Champlain, le château avait été peu à peu agrandi, amélioré, fortifié par M. de Montmagny et ses successeurs. Dominant la basse-ville et perché sur le bord de la falaise, à cent quatre-vingts pieds au-dessus du fleuve, le donjon formait un grand corps de logis de deux étages, ayant cent vingt pieds de longueur, aux deux pavillons qui composaient des avant et arrière-corps.

Sur la façade du bâtiment régnait une longue terrasse, qui surplombait le cap et communiquait de plein pied avec le rez-de-chaussée.

Un grand mur d’enceinte, flanqué de deux bastions, mais sans aucun fossé, défendait le château du côté de la ville.

À cette époque, le gouverneur-général était M. de Mésy, vieux militaire et ancien major de la citadelle de Caen. Son prédécesseur, M. d’Avaugour, ayant été rappelé en France par suite des démêlés qu’il avait eus avec Mgr de Laval, au sujet de la traite de l’eau-de-vie, l’évêque de Québec avait demandé à la cour de choisir lui-même le futur gouverneur ; ce qui lui avait été accordé. Le prélat avait désigné M. de Mésy, l’un de ses anciens amis. Mais il se repentit bientôt de son choix. Car à peine le nouveau gouverneur fut-il arrivé à Québec, que la guerre éclata entre l’évêque et lui. L’élection du syndic des habitants mit le feu de la discorde au sein du Conseil Souverain. La plus grande partie du Conseil était opposée au principe électif et repoussa trois fois l’élection du syndic. Pour faire triompher ses idées, certainement plus libérales alors que celles de la majorité dirigée par l’évêque, le gouverneur suspendit plusieurs membres de leurs fonctions, et força le procureur-général Bourdon, ainsi que le conseiller Villeraye, à s’embarquer pour l’Europe.

Quoiqu’on ne puisse approuver l’opportunité de ces mesures, il résulte de tous ces tiraillements et des scènes violentes qui s’ensuivirent entre le gouverneur et l’évêque, que si M. de Mésy se montra trop ardent, trop emporté, trop irréfléchi dans ses procédés, Mgr de Laval, de son côté, ne mit peut-être pas assez de soin à se concilier l’esprit altier de son ex-ami par quelques concessions habiles. D’ailleurs les querelles que le même prélat eut plus tard avec M. de Frontenac, prouvent que monsieur l’évêque, ainsi qu’on disait alors, était très entier dans ses opinions, et que le sang royal qui coulait dans ses veines s’échauffait fort facilement dès qu’on faisait mine de froisser, tant soit peu, les idées éminemment autocratiques qu’il tenait de son auguste cousin Louis XIV.

Mornac s’était fait annoncer et venait d’être introduit auprès du gouverneur, qui avait ordonné de le faire entrer immédiatement en apprenant que le gentilhomme était porteur de dépêches de la cour.

Après l’avoir salué cordialement et avoir reçu des mains du chevalier le pli scellé des armes royales, M. de Mésy pria son hôte de s’asseoir.

D’une main dont il s’efforçait en vain de dissimuler l’agitation, M. de Mésy rompit le cachet du message de Colbert, et se mit à parcourir la lettre d’un regard fiévreux.

Mornac le regardait. Soudain il le vit pâlir,