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Page:Marmette - Le chevalier de Mornac, 1873.djvu/41

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a onze qui sèchent en ce lieu secret. Depuis que j’ai quitté pour toujours le pays de mes pères, onze guerriers Iroquois ont été trouvés morts aux environs de leurs bourgades. Moi seul connais comment ils ont été tués pour venger mes onze fils, et moi seul sais quelles ont été leurs souffrances dernières.

« Il me manque encore une chevelure ; celle-là doit être consacrée à la mémoire de Fleur-d’Étoile. Je l’ai réservée pour la dernière. C’est le scalp d’un grand chef qu’il me faut. Quand ce trophée sera suspendu à côté des autres, le Renard-Noir pourra mourir en paix. »

Le langage figuré du Huron, dont je n’ai pu imiter partout l’originalité de crainte de n’être pas assez clair dans la narration de faits strictement historiques, tenait encore les auditeurs sous le coup de l’émotion pénible produite par un aussi triste récit, quand Mornac, l’œil en feu, la moustache hérissée, se leva soudain.

Rapide comme l’éclair, il ouvrit la fenêtre de sa main gauche et saisit de sa droite l’un de ses pistolets dont il fit feu en visant vers la palissade.

Cela fut si prompt que les hommes se trouvèrent debout et que les femmes jetèrent leur cri, comme l’air frais du dehors chassait à l’intérieur de la maison la fumée de la poudre, et que le bruit de la détonation roulait sous les sonores arceaux de la forêt voisine.

Pendant le moment de silence qui suivit ce brouhaha, on crut entendre, venant du dehors, un léger cri de douleur qui répondit au coup de feu, puis la chute d’un corps pesant sur le sol.

— Sandious ! dit froidement Mornac, je savais bien, moi, qu’il y avait un individu sur cette palissade. Aussi ne l’ai-je pas manqué !

— Mille démons ! Monsieur, fit Joncas en accourant à la fenêtre, après qui diable en avez-vous ?

M. le chevalier a cru voir quelqu’un qui tentait d’escalader la palissade ou de regarder par dessus, repartit Jolliet en secouant la tête pour chasser le bourdonnement que le coup de pistolet, tiré à quelques pouces de sa figure, lui causait dans les oreilles.

— Sandis ! reprit Mornac, j’ai entendu tellement parler, depuis mon arrivée, de sauvages, de ruses et d’embûches iroquoises que je n’ai pu m’empêcher de montrer à cet indiscret qui se promenait sur la cime des palissades, que nous sommes ici sur nos gardes !

— Mon fils a le sang bouillant, dit le Renard-Noir, et ses nerfs sont prompts à se tendre. Je vais aller voir au dehors si j’apercevrai quelque chose. Éteignez cette lumière.

Le chef saisit son tomahawk qu’il avait déposé dans un coin de la chambre, s’assura que son couteau était à sa ceinture, tandis que Joncas décrochait son fusil tout chargé et suspendu à l’une des poutres du plafond.

— Je vas aller avec vous, dit Joncas au Renard-Noir.

— Non ! que mon frère reste ici avec les autres pour défendre les femmes. J’irai seul.

Le Sauvage souffla la chandelle, enjamba le rebord de la fenêtre, se laissa glisser jusqu’à terre et disparut en rampant sur le sol dans la direction où Mornac avait tiré.

En ce moment, celui qui eût été en dehors de l’enceinte de pieux, aurait pu voir comme des ombres qui, après avoir longé la palissade, s’enfonçaient, à deux arpents de l’habitation, sous le dôme sombre et silencieux du bois.

Mais ni le Renard-Noir ni les autres, dans la maison, ne pouvaient apercevoir ces fantômes qui fuyaient sans aucun bruit.

Dans la maison régnait le plus grand silence. L’obscurité y aurait été aussi profonde, si le feu du foyer n’eût jeté, de temps à autre, quelques éclairs blafards sur les murs blanchis à la chaux. À ces lueurs intermittentes apparaissaient dans la pénombre deux groupes distincts : près de la fenêtre, Mornac, Jolliet, Joncas, Vilarme et le garçon de ferme, tous armés et prêts à la défense ; au fond, près du feu de l’âtre qui les éclairait à demi, la femme de Joncas et Mme Guillot, à genoux et les mains jointes, et devant elles, Jeanne de Richecourt debout, calme et digne comme Diane, la fière déesse.

Au dehors, les chiens hurlaient comme des enragés.

On vit, après quelques minutes d’attente, un corps noir qui se glissait du côté de la maison et faisait entendre un sifflement sourd et doux.

— Arrêtez ! fit Joncas en retenant le bras de Mornac déjà disposé à tirer son second coup de feu. C’est le Renard-Noir !

Celui-ci apparut l’instant d’après aux abords de la fenêtre et se hissa dans la maison.

— Rien, dit-il.

— Rien ! s’écria Mornac d’un air incrédule.

— Que mon frère aille voir, s’il en doute.

— Vous vous serez trompé, chevalier, dit Jolliet pour rassurer les femmes.

Et il donna un coup de coude à Mornac.

Celui-ci comprit et répondit :

— Probablement.

Après avoir parlé quelque temps de l’alerte causée par Mornac, il fut décidé que Mme Guillot et Jeanne gagneraient leur chambre et que la femme de Joncas se coucherait aussi, mais que les hommes passeraient la nuit à veiller. Mme Guillot vint embrasser son fils et souhaiter le bonsoir à ses hôtes, tandis que Jeanne donnait sa main à baiser à son cousin et à Jolliet, et faisait une froide révérence à Vilarme.

Quand les hommes furent restés seuls, ils se rapprochèrent du foyer dont ils ravivèrent le feu près duquel ils s’assirent en silence.

Seul, près de la fenêtre refermée, le Huron faisait le guet.

On n’avait pas rallumé la chandelle, pour être moins en vue. Tout bruit s’éteignit peu à peu dans la maison. Au dehors, rien ne troublait le silence nocturne, à part quelques grondements furtifs des chiens, et les miaulements sauvages d’un hibou qui se plaignait au loin dans la nuit.


CHAPITRE VII.

surprise.

La nuit et la matinée qui suivirent s’écoulèrent sans autre incident digne de remarque. Aussi, rejoignons-nous nos personnages au