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Page:Marmette - Le chevalier de Mornac, 1873.djvu/61

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que je venais de faire que lorsque je fus complètement rétablie, plusieurs jours après la sépulture de ma pauvre mère. Ce fut mon père lui-même qui, les larmes aux yeux, me vint annoncer cette fatale nouvelle.

— Je passai quelques jours au château, continua Mornac, et retournai ensuite rejoindre ma compagnie à La Rochelle. Six ou huit mois plus tard, je reçus du comte une lettre qu’un de ses serviteurs me vint apporter à franc-étrier. Mon oncle me conjurait de me rendre en toute hâte auprès de lui. Je sollicitai un court congé d’absence, je sautai en selle, et quelques heures plus tard le galop de mon cheval résonnait dans l’avenue du château de Kergalec.

« Je trouvai le comte à écrire son testament. Il m’en fit lui-même la remarque.

« — Si vous me voyez aussi sérieusement occupé, me dit-il, c’est que je me bats en duel demain matin. Je vous ai fait demander pour me servir de témoin.

« — Mais avec qui vous battez-vous ?

« — Avec le baron de Vilarme.

« — M’est-il permis de vous en demander la raison ?

« — C’est tellement horrible, mon pauvre ami, me dit le comte en comprimant un sanglot que je ne sais comment m’y prendre pour vous le répéter. Autant vaut pourtant vous le dire sans périphrase ; ce sera moins long. Hier, dans une chasse où je me trouvais avec quelques gentilshommes du voisinage, le baron de Vilarme laissa à entendre que je paraissais m’être consolé bien vite de la mort de ma femme. Je lui fis remarquer l’inconvenance de ses paroles. Il répliqua qu’il y avait des propos bien plus inconvenants encore qui circulaient sur mon compte. Je lui criai de rétracter ses paroles ou de s’expliquer. Poussé à bout, il me dit que l’on m’accusait d’avoir… étranglé ma femme ! Oh ! n’est-ce pas que c’est atroce ! Cet homme qui fut autrefois mon rival n’a jamais pu me pardonner d’avoir eu les préférences de la comtesse. Je lui jetai mon gant de chasse à la figure et nous nous battons à mort demain matin.

« Vous comprenez, ma chère cousine, toute l’infernale méchanceté de Vilarme. Non content d’avoir assassiné votre mère, il voulait perdre le comte de réputation et le flétrir à tout jamais du sceau d’une accusation infâme. Il savait la froideur qui existait depuis plusieurs années entre vos parents, ainsi que la jalousie que leur portaient les hobereaux du voisinage, et s’était dit, sans doute, que l’accusation dont il chargeait votre père prendrait de fortes racines dans un tel terrain.

— Mais, s’écria Jeanne, c’est un démon incarné que cet homme !

— C’est un beau spécimen de scélérat. Mais pour être l’esprit malin, je ne le crois pas. Si vous aviez voulu me laisser le provoquer, il y aurait plusieurs semaines que j’en aurais purgé la terre.

« Le lendemain matin nous traversâmes le parc, suivis seulement d’un vieux serviteur de confiance et d’un chirurgien des environs qui donnait depuis longtemps ses soins à la famille.

« C’était une brumeuse et froide matinée de décembre. Nous descendîmes sur le bord de la mer, à l’endroit choisi pour la rencontre.

« La mer grise, fouettée par le vent du nord, se ruait en hurlant sur les sombres crans de la côte. Quelques mouettes, aussi matinales que nous, battaient lourdement de l’aile en rasant les flots, et luttant contre la brise, jetaient leurs cris rauques au vent. Un ciel morne et bas pesait sur l’océan et semblait écraser la falaise qui surplombait, à plus de cent pieds de hauteur, la grève où nous étions. Ce lieu triste, désolé, était bien choisi pour y mourir sans regretter l’existence. Car il semble qu’il en doit plus coûter de quitter la vie par un beau soleil et dans une prairie émaillée de fleurs, que dans un endroit sauvage et sous un ciel terne d’hiver.

« Nous étions les premiers arrivés.

« Durant un bon quart d’heure nous attendîmes. Le comte était calme et se promenait de long en large avec moi, afin d’entretenir la circulation, car l’air était très vif.

« — Mon cher neveu, me dit-il tout à coup, promettez-moi de remplir mes dernières volontés, si je suis tué. Je vous fais mon exécuteur testamentaire. Après l’horrible accusation qui est cause de ce duel, je n’oserais jamais vous prier de vous marier avec ma fille ; mais au moins promettez-moi de la protéger. »

« Je vous avouerai, ma cousine, que l’idée d’épouser une petite pensionnaire de couvent, que je ne connaissais que pour l’avoir vue lorsqu’elle n’avait encore que trois ou quatre ans, me souriait fort peu. Joint à cela que j’avais alors la plus grande répulsion pour le mariage.

— Ah ! fit Jeanne, et maintenant ?

— Maintenant, ma bien-aimée cousine, fit Mornac en mettant un genou en terre et en essayant de baiser la main de mademoiselle de Richecourt, je vous assure que mes dispositions sont tout à fait opposées.

— C’est fort heureux pour vous, dit Jeanne avec ironie, en lui retirant sa main. Que répondîtes-vous à mon père ?

— Que je lui jurais de toujours vous considérer comme ma sœur. Veuillez bien remarquer que par là je n’entendais nullement exclure de mon cœur tout sentiment plus tendre. Seulement, je… me réservais de réfléchir et de vous voir auparavant.

— Vous êtes fort galant, en vérité. Veuillez poursuivre.

« Le baron de Vilarme arriva, suivi du chevalier de Kergarouët, son témoin. On mesura les épées, les combattants mirent justaucorps et pourpoint bas, et, sur le signal que nous en donnâmes, commença le plus furieux des combats singuliers auxquels j’ai jamais assisté.

« Le comte et le baron étaient à peu près d’égale force à l’escrime. Pendant plusieurs minutes leurs épées, toujours prêtes à la parade, tournoyèrent sans relâche avec d’innombrables cliquetis.

« Après plusieurs feintes inutiles, Vilarme ayant voulu lier le fer de son adversaire, celui-ci dégagea vivement sa lame, se fendit à fond, et d’un coup droit en prime, blessa le baron à la poitrine. Vilarme prompt comme l’éclair,