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Page:Marmette - Le chevalier de Mornac, 1873.djvu/86

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sentit au milieu de sa pâmoison, un soulagement extraordinaire.

— Je dois être mort ! pensa-t-il. Voilà que c’est fini de moi !

Comme il lui sembla qu’on s’agitait furieusement sur son corps :

— Cadédis ! ajouta-t-il, suis-je donc déjà dans l’enfer, que mille diables piétinent sur mon cadavre !

Quand il reprit tout à fait ses esprits, il aperçut Griffe-d’Ours et la Perdrix-Blanche ficelés dans un coin comme des momies.

Jolliet était à genoux aux pieds de Mlle de Richecourt dont les yeux, levés vers le ciel, remerciaient éloquemment Dieu de sa délivrance inespérée.

Quant à Joncas et au Renard-Noir, penchés sur Mornac étendu par terre, ils regardaient avec un affectueux intérêt la vie lui revenir.

Le Gascon s’assit, secoua la tête pour chasser le sang que la strangulation y avait fait affluer, et dit à ses amis :

— Vous pouvez vous vanter d’être arrivés à temps. Encore une minute et c’en était fait du dernier des Mornac !

— Chut ! parlez plus bas, fit Joncas. Êtes-vous blessé ?

— Heu !… non, répondit Mornac en se tâtant.

Il se remit sur pied.

— À présent il n’y a pas de temps à perdre, reprit Joncas. Allons-nous-en.

Le Renard-Noir s’approcha de la Perdrix-Blanche et lui dit à demi-voix, de manière à être entendue de Griffe-d’Ours :

— Tu vois que je tiens ma parole. Ton frère ne mourra pas encore. Mais avant longtemps il me reverra. Alors malheur à lui ! Entends-tu, Ours féroce, je vengerai sur toi la mort de Fleur-d’Étoile et de mes fils que tu as massacrés. Car je sais que c’est toi qui les as tués. J’ai dit !

Il resserra les liens de Griffe-d’Ours et de sa sœur et leur assujettit solidement dans la bouche le bâillon qui les empêchait de crier.

Comme il se relevait il aperçut un homme qui gisait, le crâne fracassé, dans l’ombre, et que ni lui ni ses compagnons n’avaient encore remarqué.

Il le traîna par les pieds jusqu’au feu. Joncas, Jolliet et lui ne purent retenir un cri de surprise et de pitié lorsqu’ils reconnurent Vilarme.

— Qui donc l’a mis dans ce triste état ? demanda Joncas.

— Le chef sauvage, répondit Mornac, il venait de l’assommer quand je suis entré. C’est une sale besogne qu’il a épargnée au bourreau.

— Il avait assez vécu ! remarqua sentencieusement le Renard-Noir.

— Baron de Vilarme, dit Mlle de Richecourt qui s’approcha du cadavre, au nom de ma mère que vous avez assassinée, je vous pardonne tout le mal que vous avez fait à ma famille ainsi qu’à moi-même. Dieu veuille vous pardonner aussi !

Ils sortirent tous furtivement de la cabane et prêtèrent l’oreille avant d’avancer.

Tout était tranquille.

Les luttes dont le ouigouam de la Perdrix-Blanche avait été le théâtre s’étaient faites si rapides et tellement par surprise, que les acteurs n’avaient pas eu le temps de jeter un cri qui pût être entendu.

— Fuyons ! dit Joncas à voix basse. Et vous, chef, montrez-nous le chemin à suivre.

Le Renard-Noir se mit à la tête des fugitifs qui traversèrent le village comme des fantômes.

Arrivé près des palissades dont Mornac avait encore eu soin d’arracher un des pieux, le Renard-Noir s’arrêta.

— Guide-les à ton tour, dit-il alors à Joncas. Tu connais maintenant le chemin comme moi.

— Vous êtes donc bien décidé, lui demanda le Canadien.

— Un chef ne change pas de résolution quand elle est bien prise. Ma vengeance n’est pas satisfaite. J’ai promis d’épargner Griffe-d’Ours mais non les autres.

— Si vous êtes surpris ?

— Ne crains rien pour moi. Pour vous autres je ne compromettrai pas votre sûreté. J’attendrai que vous ayez eu le temps d’atteindre la grotte avant de commencer mon rude travail. Si je suis surpris et poursuivi de trop près, je me laisserai prendre et tuer plutôt que d’indiquer votre cachette en fuyant vers vous. J’ai dit.

Joncas vit que la détermination du chef huron était bien arrêtée.

Il ne répliqua rien et se mit en marche suivi des autres.

— Qu’est-ce que le chef veut donc faire ici ? lui demanda Mornac.

— Chut ! nous n’avons pas le temps de bavarder, dit Joncas. Je vous conterai cela quand nous serons à l’abri.

Le Renard-Noir les vit disparaître dans la nuit. Pendant un quart d’heure il resta immobile, les yeux fixés sur la plaine vers l’endroit où les fugitifs avaient disparu.

Cet espace de temps écoulé il tourna le dos à la palissade, rampa vers le ouigouam de Griffe-d’Ours où avait eu lieu le festin.

Il en écarta doucement la portière et regarda en dedans.

Le silence n’y était troublé que par des ronflements. Il est vrai qu’ils étaient sonores et sortaient de trois cents poitrines.

Tous les convives gorgés de viandes et d’eau-de-vie s’étaient endormis auprès de leurs écuelles vides.

Sous les chaudières les feux s’étaient éteints et des flambeaux qui avaient éclairé le repas il n’en restait plus qu’un seul qui brûlât encore.

Le Huron regarda fixement les convives pour en bien voir la position.

Il s’assura que son tomahawk et son couteau jouaient aisément dans leur gaine.

Hardiment il pénétra dans la cabane, marcha droit au flambeau allumé, s’en saisit, le jeta par terre et l’éteignit sous son pied.

Il écouta un instant.

— Personne n’a bougé, se dit-il. Ils dorment tous.

Alors il tira son couteau à scalper, se dirigea à tâtons, vers le premier dormeur qu’il saisit à la gorge pour l’empêcher de crier.

Froidement, à trois reprises, il lui enfonça son couteau dans le cœur jusqu’à la garde.