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Page:Marmette - Le chevalier de Mornac, 1873.djvu/96

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Vingt, trente, quarante hommes lui apparurent au pied du bastion que les premiers arrivés se mirent à escalader sans le moindre bruit.

Une dizaine de têtes surmontées de la houppe particulière aux Sauvages, se montraient déjà à l’affleurement du rempart, lorsque l’un de ceux qui montaient ainsi, en mettant la main dans l’un des interstices des poutres de l’escarpe, fit choir une tarrière qu’un ouvrier y avait oubliée. L’instrument tomba la pointe la première en plein sur la tête de l’un des assiégeants qui attendaient en bas.

Celui-là jeta un cri et s’affaissa sur le sol.

La sentinelle qui montait la garde sur le bastion d’en face entendit ce bruit, épaula son arme et tira.

Avec la détonation un hurlement épouvantable ébranla la forêt.

C’était le cri de guerre de Griffe-d’Ours.

Mornac, l’un des premiers à s’éveiller, reconnut ce redoutable signal de combat du chef agnier.

— Aux armes ! aux armes ! criait-on de toutes parts.

Il y eut un brouhaha indescriptible et la mêlée commença.

Les dix Iroquois qui avaient déjà escaladé le fort s’étaient rués en avant le tomahawk au poing.

M. de Sorel et les officiers couchaient sous un appentis élevé au milieu du fort et tout près du feu. Comme ils s’élançaient tous au dehors, les Sauvages tombèrent, la hache levée, sur eux.

Le petit groupe d’officiers rompit de trois pas pour éviter la première attaque.

— À moi, Carignan ! cria M. de Sorel d’une voix de tonnerre.

Et sans attendre davantage, il chargea, avec les quelques officiers de la compagnie, les assaillants qui, surpris de cette brusque résistance reculèrent de quelques pas à leur tour.

Les coups portaient mal au milieu des ténèbres.

— Nous allons nous massacrer les uns les autres, si ce feu n’est pas rallumé ! s’écria M. de Sorel entre deux estocades portées à un Sauvage qui le serrait de trop près.

— Je m’en charge, dit Mornac. Il prit son élan pour bondir auprès du feu.

— Attendez-nous, monsieur ! cria en arrière la grosse voix de Joncas, et laissez-moi faire !

Le Canadien et son fidèle ami, le Renard-Noir, vinrent se placer de chaque côté du chevalier.

Tous trois, tête baissée, s’élancèrent au milieu des assaillants qui s’interposaient entre eux et le feu.

Leur élan fut irrésistible et ils firent leur trouée.

Pendant que Mornac et le Renard-Noir faisaient face aux ennemis, Joncas remua du pied les tisons encore ardents qui restaient, saisit un sapin sec qui se trouvait sur un amas de bois à brûler et le jeta sur le brasier.

Les Iroquois comprirent que le feu qui allait éclairer le combat leur serait désavantageux, et tombèrent ensemble sur les trois braves.

Le sapin s’embrasa tout d’un coup en jetant une éclatante lumière.

Griffe-d’Ours reconnut Mornac, poussa un cri de rage et brandit son tomahawk.

Le Gascon fit un saut de côté en portant une estocade en prime au chef iroquois. Mais celui-ci, d’un coup de revers de sa hache, cassa l’épée à quelques pouces de la garde.

Mornac désarmé s’élança sur le Sauvage et lui arracha son tomahawk. Alors tous les deux se saisirent à bras le corps et roulèrent sur le sol.

En ce moment les soldats et les Sauvages alliés, Hurons et Algonquins, arrivaient à la rescousse du commandant et se jetaient sur les assaillants, passant tous par-dessus Mornac et Griffe-d’Ours qui se déchiraient par terre avec leurs ongles et leurs dents.

Le Renard-Noir et Joncas voulurent secourir le chevalier, mais le flot des soldats les rejeta en avant, au milieu de l’ardente mêlée.

Les Iroquois qui avaient maintenant tous escaladé le fort, se trouvaient une quarantaine à l’intérieur des retranchements.

M. de Sorel, à la tête des siens, charge avec furie.

Pendant quelques minutes le combat est terrible.

Les coups de crosse répondent aux coups de tomahawk, fendent les crânes, fracassent les membres. Le sang pleut partout. Animés par son odeur âcre les hommes deviennent féroces et hurlent comme des bêtes fauves qui s’entre-dévorent.

Les Iroquois inférieurs en nombre, et qui avaient pensé prendre les Français par surprise — cela serait arrivé sans la chute de la tarière, — n’ont ni l’habitude ni la force de lutter longtemps en ligne rangée contre des soldats bien disciplinés.

Aussi leur faut-il bientôt battre en retraite et laisser, contre leur coutume, leurs blessés et leurs morts au pouvoir de l’ennemi.

Ils sautent par-dessus le rempart et disparaissent au milieu du bois.

Griffe-d’Ours et Mornac en roulant alternativement l’un sur l’autre, n’avaient pu se saisir de leurs dagues et continuaient à s’entre-déchirer par terre à belles dents. Griffe-d’Ours vit la défaite et la fuite des siens. Il fit un suprême effort, renversa sous lui le chevalier, lui saisit les deux poignets d’une main, et de l’autre lui prit les cheveux à poignée et se mit à traîner Mornac réduit à l’impuissance, en gagnant le rempart dans un endroit désert et opposé à celui où tous les combattants s’étaient postés.

Le Sauvage monta sur le parapet en soulevant Mornac pour l’entraîner en bas avec lui.

Il enjambait déjà le rempart, lorsque le chevalier enroula ses jambes autour d’une pièce de bois qui gisait sur le parapet.

— Sandious ! grommela le Gascon, tu m’arracheras plutôt les bras du corps, mais du moins mes jambes resteront ici !

Griffe-d’Ours tira de toutes ses forces. Mornac sentit les angles de la poutre lui entrer dans les chairs, mais ne bougea point.

— Tu mourras ici, si tu le préfères, vociféra l’Iroquois, mais tu mourras !

Il tira son couteau, se pencha sur Mornac et