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Page:Marquiset,À travers ma vie,1904.djvu/105

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ils écrivaient en termes chaleureux et le priaient en grâce de sauver la vie à cette victime innocente du parti extrême de 1815. Aidé de son cousin, le capitaine Lefaivre, membre du conseil de guerre, et aujourd’hui colonel en retraite, mon père mit tout en œuvre pour tirer le brave général des mains des bourreaux qui le réclamaient avec acharnement.

Lefaivre s’attela, c’est le mot, après ses collègues du conseil, et secondé, à son tour, par des camarades discrets et dévoués, il les noya, pour ainsi dire, dans un océan de distractions, de parties de plaisir incessantes, de telle sorte que ces officiers furent inabordables pour ceux qui avaient intérêt à les influencer dans le sens d’une condamnation à mort. Mon père, lui, s’empara des gros bonnets du conseil, les détacha de l’opinion préconçue de leur président, et les ramena si bien, par des prévenances et des invitations de toutes sortes, qu’il les rendit favorables au général Marchand. Une de ses manœuvres les plus habiles, dans ces circonstances critiques, fut de séduire l’avocat Curasson[1], le plus exalté des royalistes du jour, et de l’amener à plaider la cause du général ; il la plaida dans la perfection, avec talent, convenance, et surtout avec énergie. Cette plaidoirie fut l’un des premiers motifs du gain du procès.

Ce fut dans ces moments solennels que je fis la connaissance de M. Randon, aujourd’hui général de divi-

  1. Curasson (Jacques), 1770-1841. Savant jurisconsulte franc-comtois, auteur d’un grand nombre d’ouvrages de droit.