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Page:Marquiset,À travers ma vie,1904.djvu/227

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pendant le repas, et comme mes paroles témoignaient de la profonde affection que j’avais pour cet homme parfait, un vieux maître d’hôtel me dit tout bas lorsque je quittai la table : « Monseigneur s’harcèle ! Monseigneur s’harcèle ! » Il me fallut un instant pour comprendre la réflexion du brave serviteur dont les collègues ne montraient d’ailleurs pas tous le même attachement à leur maître.

M. Courvoisier ne se reposait des travaux de la journée et des charges de la représentation qu’en allant chaque soir faire à pied, avec un ami intime, une promenade à travers les rues et les boulevards les plus solitaires de Paris. Ces courses nocturnes commençaient vers les dix ou onze heures du soir et se prolongeaient souvent jusqu’à une heure ou deux heures du matin. Débarrassé des plis de sa simarre, le garde des sceaux causait, comme il aimait à causer, sans façon, sans contrainte et surtout sans que des échos indiscrets se plussent à raconter les anecdotes hasardées de sa vie militaire ou les réflexions politiques qui l’agitaient alors. Un des compagnons les plus habituels du ministre était M. Accarier, nommé député de l’arrondissement de Gray en juin 1830, homme d’un esprit fin, original et d’une grande simplicité de mœurs et de manières. Couché presque toujours en même temps que les poules, M. Accarier était presque, toujours aussi sous la main de son vieux camarade. Enveloppé d’une longue redingote bleue boutonnant jusqu’à la cravate, et les pieds enfouis dans