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Page:Marquiset,À travers ma vie,1904.djvu/82

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passent de même pour les grands événements, les grandes catastrophes dès longtemps prévues. L’imagination, tournoyant rapide et vivement impressionnée dans votre cerveau inquiet, vous présente ces accidents divers sous leur aspect le plus effrayant, et, quand ils arrivent, on s’écrie presque toujours : « Quoi ! ce n’est que ça ? » Lorsque, par exemple, on nous a annoncé que les portes de Besançon étaient closes et que notre liberté d’agir n’allait pas au delà des murs de la place, nous avons vu tout de suite la ville prise d’assaut, les cadavres de ses défenseurs entassés dans la boue sanglante des fossés, les femmes insultées brutalement en pleine rue, et les habitants, en insurrection contre tant d’infamies, passés presque tous au fil de l’épée. Nous avons pris, si je puis m’exprimer de la sorte, le degré le plus élevé du thermomètre de la guerre, tandis qu’il fallait prendre le degré moyen.

On craignait aussi de manquer de blé, de farine et de mourir de faim, car on supposait que cet état de siège durerait plus d’une année. On n’a manqué de rien, si ce n’est d’un peu de viande. C’est même durant le blocus que l’on a fait chez mon père les plus charmants soupers auxquels j’aie jamais assisté.

Dès les premiers jours de ce blocus tant redouté, on parlait vaguement déjà du retour des Bourbons, mais au moindre mot lâché par le premier fanatique venu, à la moindre lueur d’espérance, les partis endormis se réveillaient, les conjectures se formaient, et des con-