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Page:Martin du Gard - Le Pénitencier.djvu/113

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commença-t-il, en fixant sur M. Thibault un regard attentif. « J’avais soupçonné des privations, des mauvais traitements, des cachots. Oui, je sais. Rien de tout cela n’est fondé, heureusement. Mais j’ai constaté dans l’existence de Jacques une misère morale cent fois pire. On te trompe quand on te dit que l’isolement lui fait du bien. Le remède est bien plus dangereux que le mal. Ses journées se passent dans une oisiveté pernicieuse. Son professeur, n’en parlons pas : la vérité est que Jacques ne fait rien, et il est visible que déjà son intelligence devient incapable du moindre effort. Prolonger l’épreuve, crois-moi, c’est compromettre à jamais l’avenir. Il est tombé dans un tel état d’indifférence, et sa faiblesse est telle, que s’il restait quelques mois encore dans cette torpeur, il serait trop tard pour lui rendre jamais la santé. »

Antoine ne quittait pas son père de l’œil ; il semblait peser de tout son regard sur cette face inerte pour en faire jaillir une lueur d’acquiescement. M. Thibault, ramassé sur lui-même, gardait une immobilité massive ; il faisait songer à ces pachydermes dont la puissance reste cachée tant qu’ils sont au