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Page:Martin du Gard - Le Pénitencier.djvu/209

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être ; elle lui apportait un album plein de cartes illustrées, d’autographes, de fleurs séchées : sa vie de jeune fille, depuis trois ans : toute sa vie. Jacques la pressait de questions ; il aimait à s’étonner, et il s’étonnait de tout ce qu’il ne connaissait pas. Les histoires de Lisbeth étaient jalonnées de détails indubitables, qui ne permettaient pas de suspecter sa bonne foi ; pourtant, lorsque ses joues se coloraient et que sa voix devenait plus traînante, elle avait cet air d’inventer, de mentir, que l’on voit aux gens qui essayent de raconter un rêve. Elle trépignait de plaisir en parlant des soirées d’hiver à la Tanzchule, où se retrouvaient les jeunes gens et les jeunes filles du quartier. Le maître à danser, armé d’un très petit violon, poursuivait les couples en marquant la cadence, tandis que Madame tournait les dernières valses viennoises sur le piano automatique. À minuit, on mangeait. Puis, par bandes folâtres, l’on s’ébrouait dans la nuit, et l’on s’accompagnait de maison en maison, sans pouvoir se séparer, tant la neige était douce aux pas, tant le ciel était pur et le vent vif aux joues. Parfois des sous-officiers se mêlaient aux danseurs habituels. L’un d’eux