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Page:Martin du Gard - Le Pénitencier.djvu/23

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prie, mon cher Daniel, au nom de notre amitié, ne juge pas sévèrement mon père, tu ne peux pas tout comprendre. Moi, je sais qu’il est très bon, et il a bien fait de m’ éloigner de Paris où je perdais mon temps au lycée, j’en conviens moi-même maintenant, et je suis content. Je ne te donne pas mon adresse, pour être sûr que tu ne m’écriras pas, car ici ce serait terrible pour moi. « Je t’écrirai encore quand je pourrai, mon cher Daniel.

« Jacques. »


Antoine relut deux fois ce billet. S’il n’eût reconnu à certains signes l’écriture de son frère, il eût douté que la lettre fût de Jacques. L’adresse de l’enveloppe était d’une autre main : une écriture de paysan, lâche, hésitante, malpropre. Forme et fond le déconcertaient également. Pourquoi ces mensonges ? Mes camarades ! Jacques vivait en cellule, dans ce fameux « pavillon spécial » que M. Thibault avait créé au pénitencier de Crouy pour les enfants de bonne famille, et qui était toujours vide ; il ne parlait à aucun être vivant, si ce n’est au domestique chargé de lui porter ses repas ou de le con-