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Page:Martin du Gard - Le Pénitencier.djvu/254

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l’écoutait les yeux baissés, avec un sentiment de contrainte, presque de honte.

— « Ce matin », narrait Daniel, réprimant mal son entrain, « maman et Jenny étaient sorties de bonne heure ; alors nous étions seuls à prendre le thé, Nicole et moi. Seuls dans l’appartement. Elle n’était pas habillée encore. C’était exquis. Je l’ai suivie dans la chambre de Jenny, où elle couche. Alors, mon cher, cette chambre, ce lit de jeune fille… Je l’ai saisie dans mes bras. Un instant. Elle s’est débattue, mais elle riait. Ce qu’elle est souple ! Alors elle s’est sauvée, elle s’est enfermée dans la chambre de maman, elle n’a jamais voulu ouvrir… Je te raconte ça, c’est idiot », reprit-il en se levant. Il voulut sourire, mais ses lèvres restaient crispées.

— « Tu veux l’épouser ? » demanda Jacques.

— « Moi ? »

Jacques eut une impression pénible, comme s’il eût essuyé une offense. De minute en minute son ami lui devenait étranger. Un regard curieux, un peu moqueur, dont Daniel l’enveloppa, acheva de le glacer.

— « Mais toi ? questionna Daniel », en se rapprochant. « D’après ta lettre, toi aussi, tu… »