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Page:Martin du Gard - Le Pénitencier.djvu/268

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Une ombre passa sur le visage de Jenny. Sa seconde tentative n’était guère plus heureuse que la première : elle semblait avoir voulu rappeler à Jacques l’escapade de Marseille. Tant pis. Elle lui avait toujours gardé rancune de ce drame ; à ses yeux, il en portait toute la responsabilité. De longue date, sans le connaître, elle le détestait. En l’apercevant, ce soir-là au début du goûter, elle s’était souvenu malgré elle du mal qu’il leur avait fait ; et, dès le premier examen, il lui avait déplu sans réserve. D’abord elle le jugeait laid, même vulgaire, à cause de sa grosse tête aux traits mal formés, de sa mâchoire, de ses lèvres gercées, de ses oreilles, de ses cheveux roux qui se cabraient en épi sur le front. Vraiment elle ne pardonnait pas à Daniel son attachement pour un tel camarade ; et, dans sa jalousie, elle s’était presque réjouie de constater que le seul être qui osât lui disputer une part de l’affection fraternelle, eût si peu d’attraits.

Elle avait pris la petite chienne sur ses genoux et la caressait distraitement. Jacques gardait les yeux à terre, songeant lui aussi à sa fugue, puis au soir où il avait pour la première fois franchi le seuil de cette maison.