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Page:Martin du Gard - Le Pénitencier.djvu/281

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même pas pu révéler à son ami le nom de Lisbeth ! Il crut un instant souffrir de cette désillusion ; il souffrait surtout, en réalité, mais sans bien s’en rendre compte, d’avoir osé pour la première fois porter sur son amour un jugement critique, et de s’en être ainsi lui-même dépossédé. Comme tous les enfants, il ne vivait que du présent, car le passé s’évanouissait tôt dans l’oubli, et l’avenir n’éveillait en lui qu’impatience. Or le présent s’obstinait à avoir aujourd’hui un intolérable goût d’amertume ; l’après-midi s’achevait dans un découragement sans limites. Et lorsqu’Antoine lui fit signe de s’apprêter pour le départ, ce fut une impression de soulagement pour lui.

Daniel avait aperçu le geste d’Antoine. Il se hâta de rejoindre Jacques.

— « Vous ne partez pas encore ? »

— « Mais si. »

— « Déjà ? » Il ajouta, plus bas : « On s’est si peu vu. »

Lui aussi ne recueillait de sa journée que du désappointement. Il s’y ajoutait du remords vis-à-vis de Jacques ; et, ce qui le navrait davantage encore, vis-à-vis de leur amitié.