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Page:Martin du Gard - Le Pénitencier.djvu/93

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pas que je travaille ; il vient là parce qu’on lui a dit qu’il vienne, voilà tout. Il sait bien que personne ne vérifiera. Lui aussi, il aime mieux n’avoir pas de devoirs à corriger. Il reste une heure, on cause, il est très copain avec moi, il me raconte Compiègne, ses élèves, et tout… Il n’est pas bien heureux, lui non plus… Il me raconte sa fille, qui a des maladies dans le ventre et qui se dispute avec sa femme, parce qu’il est remarié ; et son fils, qui est adjudant, qui a été cassé parce qu’il fait des dettes pour une bonne femme… On fait semblant, avec les cahiers, les leçons ; mais on ne fait rien pour de vrai… »

Il se tut. Antoine ne trouvait rien à répondre. Il se sentait presque intimidé devant ce gamin qui avait déjà une telle expérience de la vie. D’ailleurs il n’eut rien à demander. De lui-même l’enfant s’était remis à parler, d’une voix monotone et basse, sans que l’on put, dans ce chaos, comprendre l’association de ses idées, ni même ce qui, après une si obstinée réserve, le poussait tout à coup à ce débordement :

— « … C’est comme pour l’abondance, tu sais, l’eau rougie… Je la leur laisse, tu