Page:Marx - Le Capital, Lachâtre, 1872.djvu/102

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le travail en imposant une limitation officielle à la journée de travail et cela au nom d’un État gouverné par les capitalistes et les landlords. Sans parler du mouvement des classes ouvrières, de jour en jour plus menaçant, la limitation du travail manufacturier a été dictée par la nécessité, par la même nécessité qui a fait répandre le guano sur les champs de l’Angleterre. La même cupidité aveugle qui épuise le sol, attaquait jusqu’à sa racine la force vitale de la nation. Des épidémies périodiques attestaient ce dépérissement d’une manière aussi claire que le fait la diminution de la taille du soldat en Allemagne et en France[1].

Le Factory Act de 1850 maintenant en vigueur accorde pour le jour moyen 10 heures, 12 heures pour les 5 premiers jours de la semaine, de 6 heures du matin à 6 heures du soir, sur lesquelles une demi‑heure pour le déjeuner et une heure pour le dîner sont prises légalement, de sorte qu’il reste 10 heures et demie de travail — et huit heures pour le samedi, de 6 heures du matin à 2 heures de l’après‑midi, dont une demi‑heure est déduite pour le déjeuner. Restent 60 heures de travail, 10 heures et demie pour les 5 premiers jours de la semaine, 7 heures et demie pour le dernier[2]. Pour faire observer cette loi on a nommé des fonctionnaires spéciaux, les inspecteurs de fabrique, directement subordonnés au ministère de l’Intérieur dont les rapports sont publiés tous les six mois par ordre du Parlement. Ces rapports fournissent une statistique courante et officielle qui indique le degré de l’appétit capitaliste.

Écoutons un instant les inspecteurs[3] :

« Le perfide fabricant fait commencer le travail environ quinze minutes, tantôt plus, tantôt moins, avant 6 heures du matin, et le fait terminer quinze minutes, tantôt plus, tantôt moins, après 6 heures de l’après‑midi. Il dérobe 5 minutes sur le commencement et la fin de la demi‑heure accordée pour le déjeuner et en escamote 10 sur le commencement et la fin de l’heure accordée pour le dîner. Le samedi, il fait travailler environ quinze minutes, après 2 heures de l’après‑midi. Voici donc son bénéfice :

Avant 6 h du matin. 15 m. Somme en 5 jours : 300 m.
Après 6 h du soir. 15 m.
Sur le temps du déjeuner. 10 m.
Sur le temps du dîner. 20 m.

60 m.
Le samedi.
Avant 6 h du matin. 15 m. Profit de toute la semaine : 340 m.
Au déjeuner. 10 m.
Après 2 h de l’après‑midi. 15 m.

40 m.

Ou 5 heures 40 minutes, ce qui, multiplié par 50 semaines de travail, déduction faite de deux semaines pour jours de fête et quelques interruptions accidentelles, donne 27 journées de travail[4]. »

« La journée de travail est‑elle prolongée de 5 minutes chaque jour au‑delà de sa durée normale, cela fournit 2 jours et demi de production par an[5]. » « Une heure de plus, gagnée en attrapant par‑ci par‑là et à plusieurs reprises quelques lambeaux de temps, ajoute un treizième mois aux douze dont se compose chaque année[6]. »

Les crises, pendant lesquelles la production est suspendue, où on ne travaille que peu de temps et même très peu de jours de la semaine, ne changent naturellement rien au penchant qui porte le capital à prolonger la journée de travail. Moins il se fait d’affaires, plus le bénéfice doit être grand sur les affaires faites ; moins on travaille de temps, plus ce temps doit se composer de surtravail. C’est ce que prouvent les rapports des inspecteurs sur la période de crise de 1857‑58 :

« On peut trouver une inconséquence à ce qu’il y ait quelque part un travail excessif, alors que le commerce va si mal ; mais c’est précisément ce mauvais état du commerce qui pousse aux infractions les gens sans scrupules ; ils s’assurent par ce moyen un profit extra. » « Au moment même, dit Leonhard Horner, où 122 fabriques de mon district

  1. « En général et dans de certaines limites, c’est un témoignage en faveur de la bonne venue et de la prospérité des êtres organisés, quand ils dépassent la taille moyenne de leur espèce. Pour ce qui est de l’homme, sa taille s’amoindrit dès que sa croissance régulière trouve des obstacles dans n’importe quelles circonstances, soit physiques, soit sociales. Dans tous les pays de l’Europe où règne la conscription, depuis son établissement, la taille moyenne des hommes faits s’est amoindrie et ils sont en général devenus moins propres au service militaire. Avant la Révolution (1789) la taille minimum du soldat d’infanterie en France était de 165 centimètres ; en 1818 (loi du 10 mars) de 157 ; enfin après la loi du 21 mars 1832, de 156 seulement. Plus de la moitié des hommes sont généralement déclarés impropres au service pour défaut de taille et vices de constitution. La taille militaire en Saxe était en 1780 de 178 centimètres ; elle est aujourd’hui de 155 ; en Prusse de 157. D’après les données fournies par le docteur Meyer dans la Gazette de Bavière du 9 mai 1862, il résulte d’une moyenne de neuf ans qu’en Prusse sur 1000 conscrits 716 sont impropres au service, trois cent dix-sept pour défaut de taille et 399 pour vices de constitution, etc. En 1858, Berlin ne put fournir son contingent pour la réserve, il manquait 156 hommes. » (J. V. Liebig : La chimie dans son application à l’agriculture et à la physiologie, 1862, 7e édition, v. I, p. 116, 118.)
  2. On trouvera l’histoire du Factory Act de 1850 dans le cours de ce chapitre.
  3. Je ne m’occupe que de temps à autre de la période qui s’étend du début de la grande industrie en Angleterre jusqu’en 1845, et sur cette matière je renvoie le lecteur au livre de Friedrich Engels sur la situation des classes ouvrières anglaises. (Die Lage der arbeitenden Klasse in England, von Friedrich Engels, Leipzig, 1845.) Les Factory Reports, Reports on Mines, etc., qui ont paru depuis 1845 témoignent de la profondeur avec laquelle il a saisi l’esprit du mode de production capitaliste, et la comparaison la plus superficielle de son écrit avec les rapports officiels de la « Children’s Employment Commission » publiés vingt ans plus tard, montrent avec quel art admirable il a su peindre la situation dans tous ses détails. Ces derniers rapports traitent spécialement de branches d’industrie où la législation manufacturière n’était pas encore introduite en 1862 et en partie ne l’est même pas aujourd’hui. L’état des choses, tel que l’a dépeint Engels, n’y a donc pas subi de modification bien sensible. J’emprunte mes exemples principalement à la période de liberté commerciale qui a suivi 1848, à cette époque paradisiaque dont les commis voyageurs du libre-échange aussi terriblement bavards que pitoyablement ignorants racontent tant de merveilles. — Du reste, si l’Angleterre figure au premier rang, c’est qu’elle est la terre classique de la production capitaliste, et qu’elle possède seule une statistique continue et officielle des matières que nous traitons.
  4. « Suggestions, etc., by M. L. Horner, Inspector of Factories » dans le « Factory Regulation act, ordered by the House of Commons to be printed, 9 août 1859 », p. 4, 5.
  5. Reports of the Insp. of Fact. for the hall-year ended, 1856, p. 34.
  6. Reports, etc., 30 April 1858, p. 7.