Page:Marx - Le Capital, Lachâtre, 1872.djvu/137

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maintenant à l’ouvrier sept heures et demie au lieu de dix, de sorte que le surtravail s’accroît de deux heures et demie, et que la plus-value monte de 1 à 3 sh.

Le capitaliste qui emploie le mode de production perfectionné s’approprie par conséquent sous forme de surtravail une plus grande partie de la journée de l’ouvrier que ses concurrents. Il fait pour son compte particulier ce que le capital fait en grand et en général dans la production de la plus-value relative. Mais d’autre part, cette plus-value extra disparaît dès que le nouveau mode de production se généralise et qu’en même temps s’évanouit la différence entre la valeur individuelle et la valeur sociale des marchandises produites à meilleur marché.

La détermination de la valeur par le temps de travail s’impose comme loi au capitaliste employant des procédés perfectionnés, parce qu’elle le force à vendre ses marchandises au‑dessous de leur valeur sociale ; elle s’impose à ses rivaux, comme loi coercitive de la concurrence, en les forçant à adopter le nouveau mode de production[1]. Le taux général de la plus-value n’est donc affecté en définitive que lorsque l’augmentation de la productivité du travail fait baisser le prix des marchandises comprises dans le cercle des moyens de subsistance qui forment des éléments de la valeur de la force de travail.

La valeur des marchandises est en raison inverse de la productivité du travail d’où elles proviennent. Il en est de même de la force de travail, puisque sa valeur est déterminée par la valeur des marchandises. Par contre, la plus-value relative est en raison directe de la productivité du travail. Celle-là monte et descend avec celle-ci. Une journée de travail social moyenne dont les limites sont données, produit toujours la même valeur, et celle-ci, si l’argent ne change pas de valeur, s’exprime toujours dans le même prix, par exemple de 6 sh., quelle que soit la proportion dans laquelle cette somme se divise en salaire et plus-value. Mais les subsistances nécessaires deviennent‑elles à meilleur marché par suite d’une augmentation de la productivité du travail, alors la valeur journalière de la force de travail subit une baisse, par exemple, de 5 à 3 sh. et la plus-value s’accroît de 2 sh.. Pour reproduire la force de travail, il fallait d’abord dix heures par jour et maintenant six heures suffisent. Quatre heures sont ainsi dégagées et peuvent être annexées au domaine du surtravail. Le capital a donc un penchant incessant et une tendance constante à augmenter la force productive du travail pour baisser le prix des marchandises, et par suite ‑ celui du travailleur[2].

Considérée en elle-même, la valeur absolue des marchandises est indifférente au capitaliste. Ce qui l’intéresse, c’est seulement la plus-value qu’elle renferme et qui est réalisable par la vente. Réalisation de plus-value implique compensation faite de la valeur avancée. Or, comme la plus-value relative croît en raison directe du développement de la force productive du travail, tandis que la valeur des marchandises est en raison inverse du même développement ; puisque ainsi les mêmes procédés qui abaissent le prix des marchandises élèvent la plus-value qu’elles contiennent, on a la solution de la vieille énigme ; on n’a plus à se demander pourquoi le capitaliste qui n’a à cœur que la valeur d’échange s’efforce sans cesse de la rabaisser.

C’est là une contradiction qu’un des fondateurs de l’économie politique, le docteur Quesnay, jetait à la tête de ses adversaires, qui ne trouvaient rien à répondre :

« Vous convenez, disait‑il, que plus on peut, sans préjudice, épargner de frais ou de travaux dispendieux dans la fabrication des ouvrages des artisans, plus cette épargne est profitable par la diminution des prix des ouvrages. Cependant, vous croyez que la production de richesse qui résulte des travaux des artisans consiste dans l’augmentation de la valeur vénale de leurs ouvrages[3]. »

Dans la production capitaliste, l’économie de travail au moyen du développement de la force productive[4] ne vise nullement à abréger la journée de travail. Là, il ne s’agit que de la diminution du travail qu’il faut pour produire une masse déterminée de marchandises. Que l’ouvrier, grâce à la productivité multipliée de son travail, produise dans une heure, par exemple, dix fois plus qu’auparavant, en d’autres termes, qu’il dépense pour chaque pièce de marchandise dix fois moins de travail, cela n’empêche point qu’on continue à le faire travailler douze heures

  1. « Si mon voisin, en faisant beaucoup avec peu de travail, peut vendre bon marché, il me faut imaginer un moyen de vendre aussi bon marché que lui. C’est que tout art, tout commerce, toute machine faisant œuvre à l’aide du travail de moins de mains, et conséquemment à meilleur marché, fait naître dans autres une espèce de nécessité et d’émulation qui les porte soit à employer les mêmes procédés, le même genre de trafic, la même machine, soit à en inventer de semblables afin que chacun reste sur un pied d’égalité et que personne ne puisse vendre à plus bas prix que ses voisins. » (The advantages of the East India Trade to England, London, 1720, p. 67.)
  2. « Dans quelque proportion que les dépenses du travailleur soient dimi­nuées, son salaire sera diminué dans la même proportion, si l’on abolit en même temps toutes les restrictions posées à l’industrie. » (Considerations concerning taking off the Bounty on Corn exported, etc. London, 1752, p.7.) « L’intérêt du commerce requiert que le blé et toutes les subsistances soient à aussi bon marché que possible ; car tout ce qui les enchérit doit enchérir également le travail… Dans tous les pays où l’industrie n’est pas restreinte, le prix des subsistances doit affecter le prix du travail. Ce dernier sera toujours diminué quand les articles de première nécessité deviendront moins chers. » (L. c., p. 3.) « Le salaire diminue dans la même proportion que la puissance de la production augmente. Les machines, il est vrai, font baisser de prix les articles de première nécessité, mais elles font par cela même baisser de prix le travailleur également. » (A Pricze essay on the comparative merits of competition and cooperation. London, 1834, p. 27.)
  3. Quesnay : Dialogue sur le commerce et les travaux des artisans, p.188, 189 (édit. Daire).
  4. « Ces spéculateurs, si économes du travail des ouvriers qu’il faudrait qu’ils payassent ! » (J. N. Bidault : Du monopole qui s’établit dans les arts industriels et le commerce. Paris, 1828, p. 13.) « L’entrepreneur met toujours son esprit à la torture pour trouver le moyen d’économiser le temps et le travail. » (Dugald Stewart : Works ed. by Sir W. Hamilton. Edinburgh, v. III, 1855. Lectures on polit. Econ., p. 318.) « L’intérêt des capitalistes est que la force productive des travails soit la plus grande possible. Leur attention est fixée, presque exclusivement, sur les moyens d’accroître cette force. » (R. Jones, l. c. Lecture III.)