Page:Marx - Le Capital, Lachâtre, 1872.djvu/304

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

great nuisance here, because they bring the poor » (« les cots font beaucoup de tort, parce que cela amène les pauvres »). « Que l’on bâtisse cinq cents cots, dit un gentleman, et les pauvres ne s’en trouveront pas mieux ; en réalité, plus on en bâtit, et plus il en faut. » — Pour ce Monsieur, les maisons engendrent les habitants, lesquels naturellement pressent à leur tour sur « les moyens d’habitation ». — Mais ces pauvres, remarque à ce propos le docteur Hunter, « doivent pourtant venir de quelque part, et puisqu’il n’y a ni charité, ni rien qui les attire particulièrement à Badsey, il faut qu’ils soient repoussés de quelque autre localité plus défavorable encore, et qu’ils ne viennent s’établir ici que faute de mieux. Si chacun pouvait avoir un cot et un petit morceau de terre tout près du lieu de son travail, il l’aimerait assurément mieux qu’à Badsey, où la terre lui est louée deux fois plus cher qu’aux fermiers. »

L’émigration continuelle vers les villes, la formation constante d’une surpopulation relative dans les campagnes, par suite de la concentration des fermes, de l’emploi des machines, de la conversion des terres arables en pacages, etc., et l’éviction non interrompue de la population agricole, résultant de la destruction des cottages, tous ces faits marchent de front. Moins un district est peuplé, plus est considérable sa surpopulation relative, la pression que celle-ci exerce sur les moyens d’occupation, et l’excédent absolu de son chiffre sur celui des habitations ; plus ce trop-plein occasionne dans les villages un entassement pestilentiel. La condensation de troupeaux d’hommes dans des villages et des bourgs correspond au vide qui s’effectue violemment à la surface du pays. L’incessante mise en disponibilité des ouvriers agricoles, malgré la diminution positive de leur nombre et l’accroissement simultané de leurs produits, est la source de leur paupérisme : ce paupérisme éventuel est lui-même un des motifs de leur éviction et la cause principale de leur misère domiciliaire, qui brise leur dernière force de résistance et fait d’eux de purs esclaves des propriétaires[1] et des fermiers. C’est ainsi que l’abaissement du salaire au minimum devient pour eux l’état normal. D’un autre côté, malgré cette surpopulation relative, les campagnes restent en même temps insuffisamment peuplées. Cela se fait sentir, non seulement d’une manière locale sur les points où s’opère un rapide écoulement d’hommes vers les villes, les mines, les chemins de fer, etc., mais encore généralement, en automne, au printemps et en été, aux moments fréquents où l’agriculture anglaise si soigneuse et si intensive, a besoin d’un supplément de bras. Il y a toujours trop d’ouvriers pour les besoins moyens, toujours trop peu pour les besoins exceptionnels et temporaires de l’agriculture[2]. Aussi les documents officiels fourmillent-ils de plaintes contradictoires, faites par les mêmes localités, à propos du manque et de l’excès de bras. Le manque de travail temporaire ou local n’a point pour résultat de faire hausser le salaire, mais bien d’amener forcément les femmes et les enfants à la culture du sol et de les faire exploiter à un âge de plus en plus tendre. Dès que cette exploitation des femmes et des enfants s’exécute sur une plus grande échelle, elle devient, à son tour, un nouveau moyen de rendre superflu le travailleur mâle et de maintenir son salaire au plus bas. L’est de l’Angleterre nous présente un joli résultat de ce cercle vicieux, le système des bandes ambulantes (Gangsystem), sur lequel il nous faut revenir ici[3].

Ce système règne presque exclusivement dans le Lincolnshire, le Huntingdonshire, le Cambridgeshire, le Norfolkshire, le Suffolkshire et le Nottinghamshire. On le trouve employé çà et là dans les comtés voisins du Northampton, du Bedford et du Ruthland. Prenons pour exemple le Lincolnshire. Une grande partie de la superficie de ce comté est de date récente ; la terre, jadis marécageuse, y a été, comme en plusieurs autres comtés de l’Est, conquise sur la mer. Le drainage à la vapeur a fait merveille, et aujourd’hui ces marais et ces sables portent l’or des belles moissons et des belles rentes foncières. Il en est de même des terrains d’alluvion, gagnés par la main de l’homme, comme ceux de l’île d’Axholme et des autres paroisses sur la rive du Trent. À mesure que les nouvelles fermes se créaient, au lieu de bâtir de nouveaux cottages, on démolissait les anciens et on faisait venir les travailleurs de plusieurs milles de distance, des villages ouverts situés le long des grandes routes qui serpentent au flanc des collines. C’est là que la population trouva longtemps son seul refuge contre les longues

  1. « La noble occupation du hind (le journalier paysan) donne de la dignité même à sa condition. Soldat pacifique et non esclave, il mérite que le propriétaire qui s’est arrogé le droit de l’obliger à un travail semblable à celui que le pays exige du soldat lui assure sa place dans les rangs des hommes mariés. Son service, — pas plus que celui du soldat, — n’est payé au prix de marché. Comme le soldat, il est pris jeune, ignorant, connaissant seulement son métier et sa localité. Le mariage précoce et l’effet des diverses lois sur le domicile affectent l’un comme l’enrôlement et le mutiny act (loi sur les révoltes militaires) affectent l’autre. » (Dr Hunter, l. c., p. 132.) Parfois, quelque Landlord exceptionnel a une faiblesse, son cœur s’émeut de la solitude qu’il a créée. « C’est une chose bien triste que d’être seul dans sa terre », dit le comte de Leicester lorsqu’on vint le féliciter de l’achèvement de son château de Holkham. « Je regarde autour de moi, et ne vois point d’autre maison que la mienne. Je suis le géant de la tour des géants et j’ai mangé tous mes voisins. »
  2. Un mouvement pareil a eu lieu en France dans les dix dernières années, à mesure que la production capitaliste s’y emparait de l’agriculture et refoulait dans les villes la population « surnuméraire » des campagnes. Là, également, les conditions de logement sont devenues pires et la vie plus difficile. Au sujet du « prolétariat foncier » proprement dit, enfanté par le système des parcelles, consulter entre autres l’écrit déjà cité de Colins, et Karl Marx : Der Achtzehnte, Brumaire des Louis Bonaparte. New York, 1852 (p. 56 et suiv.). En 1846, la population des villes se représentait en France par vingt-quatre quarante-deux, celle des campagnes par soixante-quinze cinquante huit ; en 1861, la première s’élevait à vingt-huit quatre-vingt six, la seconde n’était plus que de soixante et onze quarante et un. Cette diminution s’est accrue encore dans ces dernières années. En 1846, Pierre Dupont chantait déjà, dans sa chanson des « Ouvriers » :
    « Mal vêtus, logés dans des trous,
    Sous les combles, dans les décombres,
    Nous vivons avec les hiboux
    Et les larrons amis des ombres. »
  3. Le sixième et dernier rapport de la Child. Empl. Comm., publié fin de mars 1867, est tout entier consacré à ce système des bandes agricoles.