Page:Maupassant, Des vers, 1908.djvu/44

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Donc, nous étions assis devant le grand mur blême ;
Et moi, je n’osais pas lui dire : « Je vous aime ! »
Mais comme j’étouffais, je lui pris les deux mains.
Elle eut un pli léger de sa lèvre coquette
Et me laissa venir comme un chasseur qui guette.

Des robes, qui passaient au fond des noirs chemins,
Mettaient parfois dans l’ombre une blancheur douteuse.

La lune nous couvrait de ses rayons pâlis
Et, nous enveloppant de sa clarté laiteuse,
Faisait fondre nos cœurs à sa vue amollis.
Elle glissait très haut, très placide et très lente,
Et pénétrait nos chairs d’une langueur troublante.

J’épiais ma compagne, et je sentais grandir
Dans mon être crispé, dans mes sens, dans mon âme,
Cet étrange tourment où nous jette une femme
Lorsque fermente en nous la fièvre du désir !
Lorsqu’on a, chaque nuit, dans le trouble du rêve,
Le baiser qui consent, le « oui » d’un œil fermé,
L’adorable inconnu des robes qu’on soulève,
Le corps qui s’abandonne, immobile et pâmé,
Et qu’en réalité la dame ne nous laisse
Que l’espoir de surprendre un moment de faiblesse !

Ma gorge était aride ; et des frissons ardents
Me vinrent, qui faisaient s’entrechoquer mes dents,
Une fureur d’esclave en révolte, et la joie
De ma force pouvant saisir, comme une proie,
Cette femme orgueilleuse et calme, dont soudain
Je ferais sangloter le tranquille dédain !