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une veuve

« C’est si triste, si triste, que je n’en veux jamais parler. Tout le malheur de ma vie vient de là. J’étais toute jeune alors, et le souvenir m’est resté si douloureux que je pleure chaque fois en y pensant ».

On voulut aussitôt connaître l’histoire ; mais la tante refusait de la dire ; on finit enfin par la prier tant qu’elle se décida.

« Vous m’avez souvent entendu parler de la famille de Santèze, éteinte aujourd’hui. J’ai connu les trois derniers hommes de cette maison. Ils sont morts tous les trois de la même façon ; voici les cheveux du dernier. Il avait treize ans, quand il s’est tué pour moi. Cela vous paraît étrange, n’est-ce pas ?

« Oh ! c’était une race singulière, des fous, si l’on veut, mais des fous charmants, des fous par amour. Tous, de père en fils, avaient des passions violentes, de g*rands élans de tout leur être qui les poussaient aux choses les plus exaltées, aux dévouements fanatiques, même aux crimes. C’était en eux, cela, ainsi que la dévotion ardente est dans certaines âmes. Ceux qui se font trappistes n’ont pas la même nature que les coureurs de