Page:Maupassant - La Vie errante.djvu/201

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jette, pêle-mêle, dans une tranchée, et on offre aux morts récents, aux morts dont on sait encore le nom, la place volée aux autres que personne ne connaît plus, que le néant a repris tout entiers ; car il faut être économe dans les sociétés civilisées.

En sortant de ce cimetière antique et démesuré, nous apercevons une maison blanche. C’est El-Menzel, l’intendance sud de l’Enfida, où finit notre étape.

Comme nous étions restés longtemps à causer après dîner, l’idée nous vint de sortir quelques minutes avant de nous mettre au lit. Un clair de lune magnifique éclairait la steppe et, glissant entre les écailles de cactus énormes poussés à quelques mètres devant nous, leur donnait l’aspect surnaturel d’un troupeau de bêtes infernales éclatant tout à coup et jetant en l’air, en tous sens, les plaques rondes de leurs corps affreux.

Nous étant arrêtés pour les regarder, un bruit lointain, continu, puissant, nous frappa. C’étaient des voix innombrables, aiguës ou graves, de tous les timbres imaginables, des sifflements, des cris, des appels, la rumeur inconnue et terrifiante d’une foule affolée, d’une foule innommable,