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boitelle

fille, la ligne éclatante de ses dents. Un jour enfin il entra, et fut tout surpris en constatant qu’elle parlait français comme tout le monde. La bouteille de limonade, dont elle accepta de boire un verre, demeura, dans le souvenir du troupier, mémorablement délicieuse ; et il prit l’habitude de venir absorber, en ce petit cabaret du port, toutes les douceurs liquides que lui permettait sa bourse.

C’était pour lui une fête, un bonheur auquel il pensait sans cesse, de regarder la main noire de la petite bonne verser quelque chose dans son verre, tandis que les dents riaient, plus claires que les yeux. Au bout de deux mois de fréquentation, ils devinrent tout à fait bons amis, et Boitelle, après le premier étonnement de voir que les idées de cette négresse étaient pareilles aux bonnes idées des filles du pays, qu’elle respectait l’économie, le travail, la religion et la conduite, l’en aima davantage, s’éprit d’elle au point de vouloir l’épouser.

Il lui dit ce projet qui la fit danser de joie. Elle avait d’ailleurs quelque argent, laissé par une marchande d’huîtres, qui l’avait recueillie