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un soir

l’étrange pays de l’eau, de l’eau qui vivifie, comme l’air du ciel, des plantes et des bêtes. Le brasier enfonçant jusqu’aux rochers sa vive lumière, nous glissions sur des forêts surprenantes d’herbes rousses, roses, vertes, jaunes. Entre elles et nous une glace admirablement transparente, une glace liquide, presque invisible, les rendait féeriques, les reculait dans un rêve dans le rêve qu’éveillent les océans profonds. Cette onde claire si limpide qu’on ne distinguait point, qu’on devinait plutôt, mettait entre ces étranges végétations et nous quelque chose de troublant comme le doute de la réalité, les faisait mystérieuses comme les paysages des songes.

Quelquefois les herbes venaient jusqu’à la surface, pareilles à des cheveux, à peine remuées par le lent passage de la barque.

Au milieu d’elles, de minces poissons d’argent filaient, fuyaient, vus une seconde et disparus. D’autres, endormis encore, flottaient suspendus au milieu de ces broussailles d’eau, luisants et fluets, insaisissables. Souvent un crabe courait vers un trou pour se cacher, ou bien une méduse bleuâtre et transparente, à peine visible, fleur