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un soir

— Attends, je vas te chauffer les pieds.

D’un coup de trident il le reprit et, l’élevant de nouveau, il fit passer contre la flamme, en les frottant aux grilles de fer rougies du brasier, les fines pointes de chair des membres de la pieuvre.

Elles crépitèrent en se tordant, rougies, raccourcies par le feu ; et j’eus mal jusqu’au bout des doigts de la souffrance de l’affreuse bête.

— Oh ! ne fais pas ça ! criai-je.

Il répondit avec calme :

— Bah ! c’est assez bon pour elle.

Puis il rejeta dans le bateau la pieuvre crevée et mutilée qui se traîna entre mes jambes, jusqu’au trou plein d’eau saumâtre, où elle se blottit pour mourir au milieu des poissons morts.

Et la pêche continua longtemps, jusqu’à ce que le bois vint à manquer.

Quand il n’y en eut plus assez pour entretenir le feu, Trémoulin précipita dans l’eau le brasier tout entier, et la nuit, suspendue sur nos têtes par la flamme éclatante, tomba sur nous, nous ensevelit de nouveau dans ses ténèbres.

Le vieux se remit à ramer, lentement, à coups réguliers. Où était le port, où était la terre, où