Page:Maupassant - La main gauche, Ollendorff, 1903.djvu/181

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
167
un soir

Il me sembla tout à coup que l’âme orientale entrait en moi, l’âme poétique et légendaire des peuples simples aux pensées fleuries. J’avais le cœur plein de la Bible et des Mille et une Nuits ; j’entendais des prophètes annoncer des miracles, et je voyais sur les terrasses de palais passer des princesses en pantalons de soie, tandis que brûlaient, en des réchauds d’argent, des essences fines dont la fumée prenait des formes de génies.

Je dis à Trémoulin :

— Tu as de la chance d’habiter ici.

Il répondit :

— C’est le hasard qui m’y a conduit.

— Le hasard ?

— Oui, le hasard et le malheur.

— Tu as été malheureux ?

— Très malheureux.

Il était debout, devant moi, enveloppé de son burnous, et sa voix me fit passer un frisson sur la peau, tant elle me sembla douloureuse.

Il reprit après un moment de silence :

— Je peux te raconter mon chagrin. Cela me fera peut-être du bien d’en parler.

— Raconte.