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la morte

mais qui l’avait contenue tout entière, possédée autant que moi, autant que mon regard passionné. Il me sembla que j’aimais cette glace, — je la touchai, — elle était froide ! Oh ! le souvenir ! le souvenir ! miroir douloureux, miroir brûlant, miroir vivant, miroir horrible, qui fait souffrir toutes les tortures ! Heureux les hommes dont le cœur, comme une glace où glissent et s’effacent les reflets, oublie tout ce qu’il a contenu, tout ce qui a passé devant lui, tout ce qui s’est contemplé, miré, dans son affection, dans son amour ! Comme je souffre !

Je sortis et, malgré moi, sans savoir, sans le vouloir, j’allai vers le cimetière. Je trouvai sa tombe toute simple, une croix de marbre avec ces quelques mots :

« Elle aima, fut aimée, et mourut ».

Elle était là, là-dessous, pourrie ! Quelle horreur ! Je sanglotais, le front sur le sol.

J’y restai longtemps, longtemps. Puis je m’aperçus que le soir venait. Alors un désir bizarre fou, un désir d’amant désespéré s’empara de moi. Je voulus passer la nuit près d’elle, dernière nuit, à pleurer sur sa tombe. Mais on me verrait, on