Page:Maupassant - Les causeurs, paru dans Le Gaulois, 20 janvier 1882.djvu/7

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tenue, sa parole, sa science, sa position, tout. Il est presque trop bien ; pour les hommes il serait mieux étant moins bien.

Pour les femmes, il est l’idéal. Il sait manœuvrer sans faire de jalouses. Il choisit l’élue du jour, et — comment fait-il ? je l’ignore — mais bientôt ils sont seuls, dans un coin, tout seuls, causant. Il parle bas, très bas ; personne autour de lui n’entend ; il reste grave, toujours bien, souriant à peine ; tandis qu’elle le regarde soit fixement soit par secousses, gardant sur les lèvres un sourire ravi, le sourire des bienheureux. C’est le Donato de la parole !

On dit pourtant qu’il n’est pas ce qu’on appelle un homme galant, bien qu’il soit fort galant homme ; il sait parler aux femmes, voilà tout.

Pourquoi l’ai-je cité ? Parce que chacune, quand on le nomme, s’écrie : « Quel causeur ! » — Eh bien, non, ce n’est point un causeur ; il n’y a plus de causeurs, à part quatre ou cinq, peut-être ; et ceux-là même, ne trouvant jamais personne qui leur tienne tête à cette charmante mais difficile escrime, deviennent peu à peu des monologueurs.

guy de maupassant