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l’héritage

qu’elle était malade ? » Et il songeait à sa rentrée glorieuse quand elle serait morte, aux têtes de ses collègues ; il prononça pourtant, comme pour répondre à un remords secret : « Ce n’est pas que je lui désire du mal à la chère femme ! Dieu sait que je voudrais la conserver longtemps, mais ça fera de l’effet tout de même. Le père Savon en oubliera la Commune. »

On commençait à manger les fraises quand la porte de la malade s’entr’ouvrit. La commotion fut telle chez les dîneurs qu’ils se trouvèrent, d’un seul coup, debout tous les trois, effarés. Et la petite bonne parut, gardant toujours son air calme et stupide. Elle prononça tranquillement : « Elle ne souffle plus. »

Et Cachelin, jetant sa serviette sur les plats, se précipita comme un fou ; Cora le suivit, le cœur battant ; mais Lesable demeura debout près de la porte, épiant de loin la tache pâle du lit à peine éclairé par la fin du jour. Il voyait le dos de son beau-père penché vers la couche, ne remuant pas, examinant ; et tout d’un coup il entendit sa voix qui lui parut venir de loin, de très loin, du bout du monde, une de ces voix qui passent dans les rêves et qui vous disent des choses surprenantes. Elle prononçait : « C’est fait ! on n’entend plus rien. » Il vit sa femme tomber à genoux, le front sur le drap et sanglotant. Alors il se décida à entrer, et, comme Cachelin s’était