Page:Maupassant - Miss Harriet - Ollendorff, 1907.djvu/121

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
111
l’héritage

troublant son cours lumineux et calme. C’était une barque de maraudeurs qui jetaient soudain l’épervier et ramenaient sans bruit sur leur bateau, dans le vaste et sombre filet, leur pêche de goujons luisants et frémissants, comme un trésor tiré du fond de l’eau, un trésor vivant de poissons d’argent.

Cora, émue, s appuyait tendrement au bras de son mari dont elle avait deviné les desseins bien qu’ils n’eussent parlé de rien. C’était pour eux comme un nouveau temps de fiançailles, une seconde attente du baiser d’amour. Parfois il lui jetait une caresse furtive au bord de l’oreille sur la naissance de la nuque, en ce coin charmant de chair tendre où frisent les premiers cheveux. Elle répondait par une pression de main ; et ils se désiraient, se refusant encore l’un à l’autre, sollicités et retenus par une volonté plus énergique, par le fantôme du million.

Cachelin, apaisé par l’espoir qu’il sentait autour de lui, vivait heureux, buvait sec et mangeait beaucoup, sentant naître en lui, au crépuscule, des crises de poésie, cet attendrissement niais qui vient aux plus lourds devant certaines visions des champs : une pluie de lumière dans les branches, un coucher de soleil sur les coteaux lointains, avec des reflets de pourpre sur le fleuve. Et il déclarait : « Moi, devant ces choses-là, je crois à Dieu. Ça me pince là, » — il montrait le creux