Page:Maupassant - Miss Harriet - Ollendorff, 1907.djvu/123

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
113
l’héritage

Et une pensée incessante les poursuivait, les minait, aiguillonnait leur rancune mutuelle, celle de l’héritage insaisissable. Cora maintenant avait le verbe haut, et rudoyait son mari. Elle le traitait en petit garçon, en moutard, en homme de peu d’importance. Et Cachelin, à chaque diner, répétait : « Moi, si j’avais été riche, j’aurais eu beaucoup d’enfants… Quand on est pauvre, il faut savoir être raisonnable. » Et, se tournant vers sa fille, il ajoutait : « Toi, tu dois être comme moi, mais voilà… » Et il jetait à son gendre un regard significatif accompagné d’un mouvement d’épaules plein de mépris.

Lesable ne répliquait rien, en homme supérieur tombé dans une famille de rustres. Au ministère on lui trouvait mauvaise mine. Le chef même, un jour, lui demanda : « N’êtes-vous pas malade ? Vous me paraissez un peu changé. »

Il répondit : « Mais non, cher maître. Je suis peut-être fatigué. J’ai beaucoup travaillé depuis quelque temps, comme vous l’avez pu voir. »

Il comptait bien sur son avancement à la fin de l’année, et il avait repris, dans cet espoir, sa vie laborieuse d’employé modèle.

Il n’eut qu’une gratification de rien du tout, plus faible que toutes les autres. Son beau-père Cachelin n’eut rien.

Lesable, frappé au cœur, retourna trouver le chef, et, pour la première fois, il l’appela « mon-