Page:Maupassant - Miss Harriet - Ollendorff, 1907.djvu/214

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
204
l’âne

Les deux hommes s’élancèrent à sa poursuite, Maillochon à grandes enjambées, Labouise à pas pressés, courant d’un trot essoufflé de petit homme.

Mais l’âne, à bout de forces, s’était arrêté, et il regardait, d’un œil éperdu, venir ses meurtriers. Puis, tout à coup, il tendit la tête et se mit à braire.

Labouise, haletant, avait pris le fusil. Cette fois, il s’approcha tout près, n’ayant pas envie de recommencer la course.

Quand le baudet eut fini de pousser sa plainte lamentable, comme un appel de secours, un dernier cri d’impuissance, l’homme, qui avait son idée, cria : « Mailloche, ohé ! ma sœur, amène-toi, je vas lui faire prendre médecine. » Et, tandis que l’autre ouvrait de force la bouche serrée de l’animal, Chicot lui introduisait au fond du gosier le canon de son fusil, comme s’il eût voulu lui faire boire un médicament ; puis il dit :

— Ohé ! ma sœur, attention, je verse la purge.

Et il appuya sur la gâchette. L’âne recula de trois pas, tomba sur le derrière, tenta de se relever et s’abattit à la fin sur le flanc en fermant les yeux. Tout son vieux corps pelé palpitait ; ses jambes s’agitaient comme s’il eût voulu courir.