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garçon, un bock !…

peut-être deux, je ne sais pas. La nuit étant venue, je tombai sur l’herbe, et je restai là éperdu, dévoré par la peur, rongé par un chagrin capable de briser à jamais un pauvre cœur d’enfant. J’avais froid, j’avais faim peut-être. Le jour vint. Je n’osais plus me lever, ni marcher, ni revenir, ni me sauver encore, craignant de rencontrer mon père que je ne voulais plus revoir.

Je serais peut-être mort de misère et de famine au pied de mon arbre, si le garde ne m’avait découvert et ramené de force.

Je trouvai mes parents avec leur visage ordinaire. Ma mère me dit seulement : « Comme tu m’as fait peur, vilain garçon, j’ai passé la nuit sans dormir. » Je ne répondis point, mais je me mis à pleurer. Mon père ne prononça pas une parole.

Huit jours plus tard, je rentrais au collège.

Eh bien, mon cher, c’était fini pour moi. J’avais vu l’autre face des choses, la mauvaise ; je n’ai plus aperçu la bonne depuis ce jour-là. Que s’est-il passé dans mon esprit ? Quel phénomène étrange m’a retourné les idées ? Je l’ignore. Mais je n’ai plus eu de goût pour rien, envie de rien, d’amour pour personne, de désir quelconque, d’ambition ou d’espérance. Et j’aperçois toujours ma pauvre mère, par terre, dans l’allée, tandis que mon père l’assommait. — Maman est morte