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regret

femme, paisiblement, sans rien désirer de plus. Elle est morte aussi. Que c’est triste, la vie !

Il est resté seul. Et maintenant il mourra bientôt à son tour. Il disparaîtra, lui, et ce sera fini. Il n’y aura plus de M. Paul Saval sur la terre. Quelle affreuse chose ! D’autres gens vivront, s’aimeront, riront. Oui, on s’amusera et il n’existera plus, lui ! Est-ce étrange qu’on puisse rire, s’amuser, être joyeux sous cette éternelle certitude de la mort. Si elle était seulement probable, cette mort, on pourrait encore espérer ; mais non, elle est inévitable, aussi inévitable que la nuit après le jour.

Si encore sa vie avait été remplie ! S’il avait fait quelque chose ; s’il avait eu des aventures, de grands plaisirs, des succès, des satisfactions de toute sorte. Mais non, rien. Il n’avait rien fait, jamais rien que se lever, manger, aux mêmes heures, et se coucher. Et il était arrivé comme cela à l’âge de soixante-deux ans. Il ne s’était même pas marié, comme les autres hommes. Pourquoi ? Oui, pourquoi ne s’était-il pas marié ? Il l’aurait pu, car il possédait quelque fortune. Est-ce l’occasion qui lui avait manqué ? Peut-être ! Mais on les fait naître, ces occasions ! Il était nonchalant, voilà. La nonchalance avait été son grand mal, son défaut, son vice. Combien de gens ratent leur vie par nonchalance. Il est si difficile à certaines natures de se lever, de remuer,